Les aventures du professeur Coal et Una

Dans les corons oubliés de Bruay-la-Buissière, là où les terrils montent comme des montagnes sombres sous le ciel du Nord, vivait un homme qu’on appelait le Professeur Coal. Jadis mineur de fond, il avait passé trente ans à gratter la roche et à respirer la poussière noire.

Professeur Coal et Una

Dans les ruelles pavées de Bruay-la-Buissière, au milieu des anciens corons, vivait un drôle de bonhomme qu’on appelait le Professeur Coal. Il n’était pas vraiment professeur, ni tout à fait fou, mais il passait ses journées à bricoler d’étranges machines avec des bouts de ferraille, des engrenages, des vieux moteurs de berlines et des cadrans de montre cassés. On disait qu’il construisait une invention qui allait révolutionner le monde. À ses côtés, trottait toujours Una, une chienne York, de couleur noire et feu avec une queue ronde comme un pompon. On riait souvent d’elle mais Una comprenait tout. Elle avait ce regard-là, celui qui voit ce que les autres ignorent.

La visite au musée

Lors d’une visite exceptionnelle des anciennes galeries de la mine reconverties en musée, le Professeur Coal, accompagné de sa fidèle chienne Una, se joignit à un petit groupe de curieux. Tout était silencieux, hormis les pas feutrés sur la passerelle métallique et le bourdonnement discret de l’éclairage tamisé.
Soudain, alors que le guide expliquait le fonctionnement du transport du charbon à l’époque, Una bondit prestement dans un vieux wagonnet abandonné sur un rail poussiéreux. Le public éclata de rire. Le guide, un ancien galibot reconverti conteur, s’amusa à donner une légère poussée au chariot.
— “Cap’tain Una est prête pour l’expédition !”, lança-t-il en riant.

La découverte

Mais à peine le wagon eut-il quitté le quai qu’il prit de la vitesse, emporté par une légère pente. Le rire s’éteignit. Le Professeur, alarmé, s’élança — trop tard. Le wagonnet disparut dans l’ombre.
Quelques secondes plus tard, un bruit sourd résonna, suivi d’un silence angoissé. Puis la lumière des torches électriques éclaira une scène étrange : le wagon s’était arrêté pile devant une galerie secondaire condamnée, oubliée des plans. Una, imperturbable, était couchée dans le fond comme si elle avait prévu ce voyage. Son regard était fixé sur un objet poussiéreux posé contre la paroi : un carnet de cuir craquelé.Intrigué, le Professeur s’en empara. Sur la couverture, gravé à l’ancienne, on pouvait lire en lettres presque effacées :
« M. Coal – 1922 »
Le Professeur pâlit.
— “C’est impossible… Ce carnet appartenait à mon grand-père… Je n’ai jamais su qu’il existait.”
Il feuilleta les premières pages. Il y trouva non seulement des récits de vie dans la mine, mais aussi des schémas complexes, des équations, et… des annotations codées. Una aboya doucement, comme pour dire : “Tu dois le lire jusqu’au bout.”

Le secret du temps


De retour chez lui, le Professeur passa ses nuits à déchiffrer le carnet. Il découvrit un projet secret : son grand-père, surnommé le « Mineur Savant », avait élaboré un plan insensé — construire une machine à remonter le temps en utilisant l’énergie thermodynamique des profondeurs minières. Le dernier schéma, daté de décembre 1922, semblait indiquer l’existence d’un laboratoire caché quelque part sous la mine de Wallers-Arenberg.
Le Professeur décida alors de reprendre le flambeau, avec Una comme partenaire. Aidés du carnet et des archives, ils commencèrent à reconstituer la machine. Mais au fil des pages, un avertissement récurrent revenait, griffonné dans la marge :
“Ne jamais activer sans avoir refermé la boucle…”.

Le Dernier Engrenage


Pendant des semaines, le Professeur Coal travailla sans relâche dans l’ancienne remise de la mine, aujourd’hui transformée en atelier improvisé. Entouré d’outils anciens, de plans déroulés sur des chevalets, et de croquis griffonnés sur des tableaux noircis à la craie, il redonnait vie à une machine dont les rouages avaient dormi un siècle. Una, fidèle à son poste, veillait près de lui, souvent couchée à côté du carnet, comme si elle le protégeait.
Le cœur de l’engin était un noyau thermo-quantique — un assemblage improbable d’éléments miniers, de cuivre, de quartz et d’un mystérieux “minerai noir” que seul le carnet appelait le Cœur des Profondeurs. Ce minerai, incroyablement dense, semblait avoir été extrait en secret d’une couche ultra-profonde, jamais répertoriée.
Le dernier composant, un engin en forme de sphère avec un hublot gravée d’anciens symboles, manquait toujours. C’est Una qui le retrouva — du moins, c’est ce que jure le Professeur. Un matin, elle aboya avec insistance devant une vitrine du musée, où un vieux mécanisme rouillé faisait partie d’une reconstitution. En le démontant, le Professeur réalisa que cette pièce était bien plus ancienne que tout le reste… et qu’elle s’emboîtait parfaitement dans le mécanisme de sa machine.

Un voyage vers l’inconnue

La nuit du 30 avril, il posa ses mains sur les leviers en cuivre. Una grimpa sur le siège à ses côtés, sans hésiter. Le carnet ouvert sur ses genoux, le Professeur prononça les mots inscrits à la dernière page :
« L’instant est mémoire. La mémoire est passage. »
Un vrombissement grave s’éleva. Le plancher vibra. Une lumière noire, dense comme du charbon liquide, les enveloppa tous les deux.
Puis… le silence.

La mine vivante – 1923

Quand la lumière disparut, ils n’étaient plus dans l’atelier. Tout autour d’eux, la mine était vivante. Le vacarme des wagonnets, les cris des hommes, l’odeur âcre du charbon. Une clarté d’avant-guerre, tamisée par la suie et les lampes à flamme.
Una tourna la tête. Un homme en tenue de mineur, grand, moustachu, les observait. Il ressemblait étrangement au Professeur… sauf qu’il portait une montre à gousset et un regard comme chargé d’électricité.
— “Vous… vous avez activé la machine ?”, dit-il lentement.
— “Grand-père ?”, murmura le Professeur.
L’homme hocha la tête.
— “Il y a une raison pour laquelle j’ai caché le carnet… et si vous êtes ici, c’est que le danger est déjà en route.Le Secret du Mineur Savant Le Professeur Coal, encore étourdi par le voyage, observa cet homme en face de lui. Il portait une vareuse grise maculée de poussière de charbon, une lampe à carbure à la ceinture, et un regard aussi perçant qu’un pic de mineur. Sa voix, grave et posée, semblait vibrer au même rythme que les murs de la galerie.
— “Je t’ai attendu… bien plus longtemps que tu ne le penses.”
Le Professeur balbutia : — “Mais… comment ? Vous saviez que j’allais venir ?”