Le Prix De La Lumière

Mon séjour au triage

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Le prix de la lumière partie 2 Mon séjour au triage

À l’âge tendre de 14 ans et demi, frêle et gringalet, j’entamais ma vie au triage. C’était un monde étrange, où tout semblait immense et rugueux, à commencer par ce tapis roulant métallique qui avalait le charbon et le recrachait en une pluie de gaillettes. Pendant six mois, je m’y suis fait ma place, petit à petit. Moi, si timide au départ, je devenais l’un des anciens. Le temps passait et un roulement naturel faisait descendre les plus aguerris au fond de la mine, laissant leurs postes à de nouveaux venus, encore naïfs et impressionnés par ce monde souterrain.
Un jour, ce fut à mon tour d’accueillir les nouveaux. Avec l’aide des autres, je leur montrais les gestes, ces mouvements simples mais précis qui rythmaient nos journées. Il fallait apprendre à apprivoiser le tapis roulant, ce monstre métallique qui grondait et triait sans relâche. Le tapis se divisait en deux. La « grosse toile », comme on l’appelait, transportait les gaillettes les plus volumineuses. Ces blocs de charbon, si lourds qu’on ne pouvait les soulever, devaient être poussés à la force des bras. Pourtant, étrangement, travailler à la grosse toile était une forme de répit. Les grosses gaillettes étaient rares, et bien souvent, on se retrouvait seul à ce poste, accompagné seulement par le vrombissement régulier de la machine.
Ce charbon qui défilait sous nos yeux, noir et brillant, suscitait une étrange tentation. Chez nous, la qualité du charbon livré était si médiocre qu’il fallait batailler pour allumer un feu digne de ce nom. Ces grosses gaillettes, si parfaites, semblaient presque nous narguer. Qui n’aurait pas rêvé d’en ramener une ou deux à la maison, de quoi réchauffer la famille sans s’acharner sur ces miettes grises et poussiéreuses ?
Mais la tentation était surveillée de près. Les gardes des mines, implacables, fouillaient nos musettes à la sortie. Leur vigilance était redoutable, et ceux qui se faisaient prendre avec du charbon dissimulé dans leurs affaires se retrouvaient sanctionnés. Une amende, inscrite comme une retenue sur la fiche de paye, suffisait à refroidir les plus téméraires.
Ainsi allait la vie au triage. Entre le bruit des machines, l’odeur âcre du charbon, et les espoirs fugaces d’un feu plus chaud, on apprenait à grandir, à s’adapter, et, parfois, à rêver malgré tout.

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Le prix de la lumière partie 2 Ma première paie

Le jour où j’ai ramené ma première paie à la maison reste gravé dans ma mémoire comme un instant de fierté et de tendresse. Après des mois de dur labeur au triage, mes mains noires de charbon et mon dos courbé par l’effort portaient enfin la récompense de ce travail acharné : une enveloppe blanche, modeste mais précieuse, qui contenait ma toute première paie.
En franchissant la porte de la maison, mon cœur battait fort, à la fois d’excitation et d’appréhension. Ma mère m’attendait, comme toujours, avec son regard doux mais fatigué, celui d’une femme qui avait tant donné pour nous. Sans un mot, je lui tendis l’enveloppe. Elle la prit doucement, ses mains usées tremblant légèrement, comme si elle mesurait à quel point ce geste était important. Je voyais dans ses yeux une fierté discrète, mêlée d’émotion.
Je n’avais rien gardé pour moi. Tout était pour elle, pour nous, pour alléger un peu le poids des fins de mois difficiles. Mais dans un sourire, elle m’accorda un cadeau inattendu : mon premier dimanche, un argent de poche à moi, rien qu’à moi. Ce n’était qu’une petite somme, mais pour le garçon que j’étais, elle représentait une liberté inédite, une promesse d’aventures et de petits plaisirs.
Ce dimanche-là, je me sentais grand, un homme en devenir, capable de contribuer au bien-être des miens tout en goûtant les joies simples d’un peu d’autonomie. Et dans le regard de ma mère, je voyais tout l’amour et la reconnaissance qu’elle n’avait pas besoin de dire à voix haute. Ce jour-là, je compris la valeur du travail, mais surtout celle du partage et des petits bonheurs qu’il peut offrir.

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Le prix de la lumière partie 2 Un dimanche à l’harmonie

Ce dimanche-là, l’air était empreint d’une douce excitation. C’était un jour attendu, un moment à part dans la routine du travail et des jours gris. Je me préparais à rejoindre l’harmonie de la compagnie, cette grande famille de musiciens où chaque note jouée résonnait comme un élan de joie partagée.
L’objectif de cette répétition était particulier : nous allions nous préparer pour le grand défilé du carnaval de Mazingarbe. Rien que l’idée de cette fête, des rues animées, des costumes colorés, et des sourires illuminant les visages, suffisait à remplir mon cœur d’enthousiasme.
Le trajet jusqu’à la salle de répétition était toujours un plaisir. On y croisait les camarades, les instruments à la main, prêts à donner le meilleur d’eux-mêmes. Les cuivres brillaient sous le soleil matinal, les baguettes des tambours battaient déjà un rythme joyeux, et les éclats de rire ponctuaient les salutations amicales.
Lorsque l’harmonie se mettait en place, un frisson parcourait l’air. Dès les premières notes, on sentait l’énergie collective, ce mélange de discipline et de passion qui transformait une simple répétition en un moment magique. Chaque musicien, qu’il soit jeune ou expérimenté, avait à cœur de donner le meilleur pour que le défilé soit mémorable.
Je me voyais déjà, marchant fièrement dans les rues de Mazingarbe, vêtu de l’uniforme impeccable, jouant mon morceau avec assurance, porté par les regards admiratifs de la foule. Ce n’était pas seulement un défilé, mais un hommage à notre communauté, à nos traditions et à cette musique qui rapprochait les cœurs.
Oui, ce dimanche-là, dans cette harmonie, je ressentais quelque chose d’unique : l’appartenance à quelque chose de plus grand, une mélodie qui portait les espoirs et les joies de tous ceux qui l’écoutaient.

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Le prix de la lumière partie 2 Le Carnaval de Mazingarbe

Le carnaval de Mazingarbe est une fête populaire empreinte de joie, de couleurs et de traditions qui, chaque année, transforme cette paisible commune en un tourbillon festif. Dès l’aube, une effervescence s’empare des rues, et l’air résonne des rires et des éclats de musique. C’est un rendez-vous attendu par tous, jeunes et moins jeunes, où la ville s’habille de magie et d’allégresse.
Les chars, véritables œuvres d’art roulantes, envahissent les boulevards, décorés avec une minutie qui force l’admiration. Chaque char raconte une histoire, un conte, ou un thème particulier, porté par des bénévoles passionnés qui rivalisent d’imagination. Des figures géantes, parfois loufoques, parfois majestueuses, dansent au-dessus des cortèges, tandis que des confettis tourbillonnent comme une pluie de couleurs.
Les participants, vêtus de costumes flamboyants, défilent fièrement. Les étoffes scintillent sous les rayons du soleil, et les masques rivalisent de créativité, tantôt drôles, tantôt énigmatiques. Les fanfares jouent des airs entraînants qui donnent envie de danser, et les tambours battent un rythme qui fait vibrer les cœurs.
Au cœur du défilé, les habitants de Mazingarbe se mêlent aux visiteurs, formant une foule bigarrée et joyeuse. Les enfants, les yeux écarquillés, tendent les mains pour attraper les bonbons lancés depuis les chars, tandis que les adultes applaudissent et chantent en chœur. L’odeur des beignets, des crêpes et des friandises locales flotte dans l’air, ajoutant une douceur sucrée à l’ambiance déjà chaleureuse.
Le carnaval ne s’arrête pas au défilé. Les festivités se prolongent sur les places et dans les salles communales, où des bals populaires et des spectacles viennent conclure la journée en apothéose. La musique, omniprésente, accompagne les danses endiablées jusqu’à tard dans la nuit, et les rires résonnent encore longtemps après que les lumières se soient éteintes.
Le carnaval de Mazingarbe, c’est bien plus qu’une fête : c’est une ode à la convivialité, un moment où la communauté se rassemble pour célébrer la vie dans toute sa splendeur. Une journée qui reste dans les mémoires comme une parenthèse enchantée, où l’on oublie tout pour se laisser emporter par la magie et l’euphorie.

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Le prix de la lumière partie 2  Mon passage au fond : une nouvelle étape

Après six mois passés au triage, le moment vint pour moi de franchir une nouvelle étape. On m’annonça mon transfert au fond, un univers à la fois redouté et respecté, où les mineurs affrontaient quotidiennement l’obscurité et l’immensité de la terre. Mon cœur se serra à cette idée, mêlant appréhension et une certaine fierté : j’allais, enfin, rejoindre les hommes au cœur du métier, là où tout se jouait.
Ma nouvelle mission était d’aider au boisage. Ce mot, si simple en apparence, renfermait un travail exigeant, physique, où il fallait renforcer les galeries pour les protéger des affaissements. Chaque poutre posée devenait une ligne de vie, une promesse de sécurité pour ceux qui s’y aventuraient. C’était un travail qui demandait de la précision et un grand respect des règles, car le moindre faux pas pouvait être lourd de conséquences.

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Le prix de la lumière partie 2 Mon passage au fond : une nouvelle étape

Le premier jour, lorsque je descendis dans la cage, un frisson me parcourut. Le bruit métallique des câbles, le grincement de l’acier, tout cela résonnait comme une mélodie grave, presque solennelle. Autour de moi, les visages des mineurs étaient sérieux, concentrés. Certains me lancèrent un regard complice, comme pour m’encourager. D’autres restaient silencieux, habitués à cette routine où les mots étaient rares mais les gestes parlaient pour eux.

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Le prix de la lumière partie 2 Mon passage au fond.

Au fond, la chaleur et l’humidité vous enveloppaient immédiatement, mêlées à cette odeur unique de charbon et de terre. La lumière des lampes, accrochées à nos casques, perçait l’obscurité comme de petits éclats d’espoir. On m’apprit rapidement les gestes à suivre, les postures à adopter, et comment manier les outils pour que chaque poutre, chaque pièce de bois, trouve sa place parfaite dans l’ossature de la galerie.
Les premières journées furent éprouvantes. Mon corps, encore frêle, devait s’adapter à cet effort constant, à ce poids qui pesait autant sur mes épaules que sur mon esprit. Mais au fil du temps, je sentis la force grandir en moi. Mes mains, autrefois délicates, se couvrirent de cales. Mon dos se redressait avec une certaine fierté lorsque je voyais le résultat de mon travail : une galerie sûre et solide prête à accueillir mes camarades et à les protéger des éboulements et autres affaissements de terrain.
Travailler au fond, c’était bien plus que du labeur. C’était un baptême, une initiation au cœur même de la fraternité minière. Dans l’obscurité, sous la terre, on apprenait la solidarité, le respect des autres, et surtout, celui du métier. Ce passage au fond marqua en moi une transformation : je n’étais plus un garçon, mais un jeune homme, prêt à affronter les défis de ce monde souterrain. L’utilisation du bois pour étayer les galeries dans les mines, notamment dans le Pas-de-Calais, repose sur plusieurs raisons pratiques, économiques et techniques adaptées aux conditions spécifiques des mines de charbon de cette région. Voici les principales raisons :
1. Disponibilité et coût
Facilité d’approvisionnement : Au XIXᵉ et début du XXᵉ siècle, le bois était abondamment disponible et facile à transporter dans les régions minières.
Coût relativement bas : Le bois était moins coûteux à produire et à utiliser par rapport à d’autres matériaux comme le métal, surtout avant le développement massif des structures métalliques.
2. Propriétés mécaniques
Flexibilité et résistance : Le bois a une bonne résistance mécanique tout en étant suffisamment flexible pour s’adapter aux pressions exercées par les terrains instables.
Prévisibilité avant rupture : Contrairement au métal, le bois montre des signes (craquements) avant de céder, ce qui peut alerter les mineurs d’un danger imminent.
Absorption d’énergie : En cas de choc, le bois peut absorber une partie de l’énergie, réduisant les risques d’effondrement brutal.
3. Adaptabilité au terrain
Dans les mines du Pas-de-Calais, les galeries traversent souvent des couches de schistes ou de charbon qui peuvent être instables. Le bois peut être coupé et ajusté directement sur place pour convenir à la configuration spécifique des galeries.
Les variations dans les dimensions des galeries nécessitent un matériau facile à manipuler et à adapter.
4. Facilité de mise en œuvre
Le bois est facile à couper, assembler et remplacer, ce qui le rend pratique pour une utilisation rapide dans des environnements souterrains contraignants.
Les ouvriers pouvaient installer des cadres de soutènement en bois rapidement, même dans des conditions difficiles.
5. Propriétés chimiques et thermiques
Le bois est relativement stable face aux variations de température souterraines.
Contrairement aux métaux, il ne rouille pas, ce qui est un avantage dans les environnements humides des galeries.
6. Évolutions techniques limitées à l’époque
À l’époque de l’exploitation intensive des mines dans le Pas-de-Calais (XIXᵉ et début XXᵉ siècles), les technologies métalliques n’étaient pas aussi développées ou accessibles qu’aujourd’hui.
L’utilisation de cadres métalliques s’est généralisée plus tard avec l’amélioration des alliages et des techniques industrielles.
7. Praticité pour les réutilisations et la maintenance
Les cadres en bois pouvaient être retirés et réutilisés si nécessaire, ce qui était économiquement avantageux.
En conclusion, l’utilisation du bois dans les mines du Pas-de-Calais était une solution pragmatique adaptée aux besoins techniques, économiques et environnementaux de l’époque. Ce choix a perduré jusqu’à ce que des matériaux plus modernes (comme le béton ou l’acier) deviennent économiquement viables et plus performants pour garantir la sécurité des mineurs.

Le prix de la lumière partie 2  Apprentissage sur le terrain

Dans le Pas-de-Calais, au cours de l’ère industrielle (notamment aux XIXᵉ et XXᵉ siècles), les mines de charbon représentaient un secteur majeur, et les boisages des galeries étaient essentiels pour garantir la sécurité des mineurs. Les formations pour les boisages étaient généralement intégrées dans les pratiques professionnelles des mines, mais voici quelques détails sur les apprentissages et la transmission des savoirs liés à cette activité :
1. Apprentissage sur le terrain
Transmission orale et pratique : Les compétences liées au boisage étaient souvent transmises de génération en génération par les mineurs expérimentés, directement sur le terrain. Les ouvriers plus jeunes apprenaient en observant et en participant sous la supervision des plus anciens.
Hiérarchie des postes :
Les mineurs débutants (galibots) étaient d’abord formés sur des tâches simples avant de progresser vers des rôles plus techniques, comme le boisage.
Les boiseurs expérimentés (aussi appelés « charpentiers de mines ») guidaient les jeunes apprentis pour installer les soutènements.
2. Formations internes aux compagnies minières
Les compagnies minières comme la Compagnie des Mines de Lens, la Compagnie des Mines de Béthune, ou la Compagnie des Mines de Courrières organisaient parfois des sessions de formation informelles ou formelles pour les boiseurs.
Ces formations incluaient :
La compréhension des structures des galeries et des sols.
Les techniques de découpe, d’ajustement et d’installation du bois.
Les règles de sécurité et les signaux d’alerte en cas d’instabilité.
3. Écoles de formation professionnelle
Écoles des Mines locales :
Certaines villes minières du Pas-de-Calais disposaient d’écoles techniques ou d’institutions liées à l’exploitation minière. Ces écoles formaient des techniciens ou des ouvriers qualifiés pour des rôles spécifiques, dont le boisage.
Ces formations comprenaient des notions théoriques (géologie, résistance des matériaux) et pratiques (installation des cadres de soutènement, inspection des structures en bois).
Exemples d’écoles :
L’École des Mines de Douai (plus orientée vers les ingénieurs, mais avec des programmes pour techniciens dans les filières industrielles).
Des écoles techniques ouvertes par les compagnies minières elles-mêmes.
4. Techniques enseignées
Les techniques enseignées pour le boisage incluaient :
Choix et préparation du bois : Identifier les types de bois les plus adaptés (souvent du chêne, du pin ou du sapin) pour leur résistance et leur flexibilité.
Assemblage des cadres de soutènement :
Techniques pour ajuster le bois aux dimensions de la galerie.
Installation des étais (pièces verticales) et des linteaux (pièces horizontales).
Inspection et entretien :
Identifier les signes de faiblesse dans les boisages (déformations, craquements).
Réparation ou remplacement des bois endommagés.
5. Évolutions au XXᵉ siècle
Formations modernisées : Avec le temps, des formations plus structurées ont été mises en place pour intégrer les évolutions technologiques, comme l’usage de cadres métalliques ou la mécanisation.
Sensibilisation à la sécurité : Après des catastrophes comme celle de Courrières en 1906, les compagnies ont renforcé la sensibilisation à la sécurité, notamment dans les formations liées au boisage.
6. Apprentissage empirique lié au terrain local
Le sol du Pas-de-Calais, souvent composé de couches de schiste et de charbon, nécessitait des compétences spécifiques adaptées aux instabilités locales. Les formations incluaient des méthodes pour :
Réagir aux effondrements locaux.
Adapter les boisages aux galeries souvent étroites et profondes.
En résumé, les formations pour les boisages dans les mines du Pas-de-Calais combinaient des apprentissages pratiques sur le terrain, des sessions internes organisées par les compagnies minières et, dans certains cas, des formations techniques formelles dans des écoles spécialisées. L’objectif était de garantir la sécurité des mineurs tout en maintenant l’efficacité des travaux souterrains.

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Le prix de la lumière partie 2  Marcel, le porteur de bois

.Marcel, le porteur de bois, était un jeune homme de courage et de dévouement. Son travail était à la fois éprouvant et crucial pour le fonctionnement de la mine. Avec une détermination qui défiait les épreuves, il poussait les lourds chariots de bois à la force de ses bras et de ses jambes. Les chemins de roulement étaient souvent en mauvais état, ravagés par les mouvements du terrain, et les rails, fatigués par le temps, déraillaient parfois. Lorsqu’un chariot quittait les rails, il fallait employer toutes les astuces et la force pour le remettre en place, une tâche qui exigeait autant de ruse que de puissance.
Le temps était un ennemi constant. Il ne fallait jamais traîner, car les ouvriers attendaient le matériel pour boiser et continuer leur travail. Leur salaire dépendait de leur avancement : chaque minute comptait. Lorsque Marcel posait les bois sur le tapis roulant, il criait « BOIS ! », et ce cri résonnait dans les galeries comme un écho, se répercutant de mineur en mineur. Chacun prenait ce dont il avait besoin pour soutenir les galeries, souvent à des endroits où la hauteur dépassait rarement un mètre. Les galeries étaient étroites : trois travées de deux mètres de largeur étaient réservées au passage, au tapis roulant et à l’abattage du charbon.
Cependant, le boisage en bois était sur le point de disparaître, remplacé par des structures métalliques, plus modernes et récupérables. Les étançons en bois allaient céder la place à des supports métalliques, numérotés et contrôlés chaque nuit par des inventaires rigoureux. Ces nouvelles méthodes promettaient une meilleure efficacité, mais elles annonçaient aussi la fin d’une époque pour les hommes comme Marcel.
Un jour, alors qu’il était en train de poser les bois que lui passait un camarade, Marcel vécut l’événement le plus terrifiant de sa vie. Dans une partie basse de la galerie, un grand fracas retentit : le soutènement céda, et tout s’effondra autour de lui. En un instant, il se retrouva prisonnier d’un amas de roches et de débris. La peur le saisit, mais un instinct de survie insoupçonné s’éveilla en lui. Dans un effort désespéré, il tira de toutes ses forces sur ce qui le retenait, abandonnant sa lampe, ses chaussures et même son pantalon. Par miracle, il parvint à se hisser jusqu’à la partie haute de la galerie, à bout de souffle et tremblant de peur.

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Le prix de la lumière partie 2 L’alerte

L’alerte fut immédiatement donnée, et des mineurs accoururent pour le secourir. Mais Marcel était déjà sorti seul de cet enfer. Traumatisé, il ne pouvait prononcer un mot et les larmes coulaient sans retenue sur son visage. Le porion, inquiet, vérifia qu’il n’avait rien de cassé et, voyant son état, lui donna un billet pour remonter à la surface. Marcel marchait lentement, encore secoué par l’épreuve.
Lorsqu’il arriva chez lui, sa mère, une femme frêle mais solide, le regarda avec soulagement. Elle lui dit doucement : « Assieds-toi. » Marcel s’assit sur une chaise basse, fabriquée spécialement pour sa mère, mais, croyant qu’elle était normale, il perdit l’équilibre et tomba à la renverse. Cette chute provoqua un éclat de rire général, même chez Marcel, qui, pour la première fois depuis l’incident, retrouva un peu de légèreté.
Peu à peu, il raconta ce qui s’était passé, montrant ses hématomes et ses blessures. Sa mère soigna ses égratignures comme elle pouvait, et, déjà, Marcel pensait à retourner travailler. Le lendemain, il reprit son poste, comme si de rien n’était. Mais le bruit de son accident s’était répandu dans la mine, et ses collègues le regardaient avec étonnement, persuadés qu’il avait été transporté à l’hôpital sur une civières.
Malgré la peur et la douleur, Marcel continua son travail de porteur de bois pendant longtemps. Il avait compris que, dans les entrailles de la terre, il fallait surmonter ses peurs et avancer. Chaque jour était une bataille, mais c’était une bataille qu’il était déterminé à gagner.

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Le prix de la lumière partie 2 Glossaire des termes du boiseur.

Glossaire des termes du boiseur.
Queue : Une branche d’arbre d’un diamètre de 5 cm environ, et d’une longueur de 1,20 mètre, et droite.
Bille : Le bois de toit. Il arrivait parfois que cette bille casse, et dans ce cas, il fallait la remplacer. Cette opération était plus délicate.
Racourche : On appelait cela aussi « cale à marmite ». On pouvait débiter le bois cassé en morceaux de 25 cm environ, qui étaient ensuite cassés en petits morceaux pour servir de bois à allumer le feu. Si on avait le droit de débiter les bois cassés, il était interdit de débiter des bois neufs, sous peine de fortes amendes. Le feu devait être rallumé tous les jours à cause de la mauvaise qualité du charbon.
Moyens de mesure des boiseurs
Coudée : Une mesure traditionnelle correspondant approximativement à la distance entre le coude et l’extrémité des doigts (environ 50 cm). Utilisée pour des estimations rapides des longueurs.
Main : Une mesure basée sur la largeur de la paume de la main, souvent utilisée pour mesurer de petites longueurs ou évaluer des écarts rapidement (environ 10 cm).
Mètre pliant : Outil principal pour mesurer les longueurs de bois, notamment les billes et les queues.
Cordeau : Utilisé pour tracer des lignes droites ou marquer les zones de coupe sur le bois.
Compas de menuisier : Employé pour mesurer les diamètres des queues ou des billes.
Calibre à bois : Instrument permettant de vérifier l’épaisseur des morceaux de bois précoupés.
Marqueur à craie : Sert à identifier les bois cassés ou à marquer les bois destinés à des usages spécifiques.

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Le prix de la lumière partie 2 Dans les profondeurs

Dans les profondeurs humides et sombres de la galerie, Marcel avançait avec précaution. Chaque pas soulevait un léger nuage de poussière de charbon, et le silence, habituellement lourd dans ces lieux, était troublé par un bruit inhabituel. Une sorte de souffle long et rythmé, accompagné de bruits sourds, comme des sabots frappant la roche.
Il s’arrêta, tendit l’oreille. C’était bien ça. Un hennissement doux, presque étouffé par l’épaisseur des murs de charbon. Marcel, intrigué, resserra sa lampe frontale sur son casque et se remit en marche. Le souffle des chevaux, pensait-il. Il avait entendu parler d’eux, ces ouvriers silencieux des mines, mais il ne les avait jamais vus de près. Dans sa jeune imagination, ils étaient presque légendaires.
Plus il avançait, plus le son devenait clair. Au bout de la galerie, dans une anfractuosité creusée pour eux, il les vit enfin. Deux chevaux, leur pelage luisant sous la lumière vacillante de sa lampe, se tenaient là, paisibles et majestueux malgré l’étroitesse de leur enclos. Le plus grand, un Percheron robuste au regard doux, releva la tête en percevant la présence de Marcel. Ses yeux reflétaient une intelligence tranquille, comme s’il comprenait sa place dans cet étrange monde souterrain.
Marcel s’approcha lentement, presque avec révérence. Il savait que ces animaux étaient bien plus que des simples bêtes de somme. Ce9s chevaux, amenés dans les mines pour tirer les lourdes berlines de charbon, vivaient sous terre des années durant, souvent sans jamais revoir la lumière du jour. Leur force inébranlable était une partie essentielle de la vie des mineurs. Pourtant, ici, loin de la surface, leur existence semblait presque irréelle.
— Bonjour, vous deux, murmura-t-il, sa voix douce résonnant faiblement.
Le Percheron souffla doucement, tendant son cou massif vers lui, tandis que le plus jeune, un petit cheval bai nerveux, battait légèrement des sabots. Marcel tendit une main hésitante, que le grand cheval renifla avant de l’accepter d’un mouvement apaisé. Une connexion silencieuse s’établit.
Un ancien mineur lui avait raconté un jour que les chevaux des mines, bien que confinés, développaient une sorte de complicité tacite avec les hommes. Ils étaient les témoins muets des histoires de courage et de fatigue. Certains disaient même qu’ils sentaient le danger avant les hommes, qu’ils pouvaient prévenir les éboulements ou les poches de grisou.
Marcel resta là un moment, absorbé par la présence apaisante des animaux. Il caressa doucement le flanc du Percheron, sentant la chaleur et la puissance sous sa main. Il se surprit à murmurer des mots qu’il ne comprenait pas lui-même, comme s’il se confessait à ces créatures stoïques.
Puis, un appel retentit au loin, brisant l’instant. C’était le contremaître, cherchant sûrement Marcel. Le jeune galibot soupira, tapota une dernière fois l’encolure du cheval et recula à contrecœur.
— Je reviendrai, promit-il dans un souffle.
Alors qu’il retournait à son poste, l’écho des hennissements des chevaux résonnait encore dans la galerie. Ces compagnons des profondeurs lui semblaient désormais bien plus que des animaux. Ils étaient les gardiens silencieux d’un monde d’ombres, partageant avec les hommes une lutte quotidienne pour la survie et un lien unique dans l’obscurité des mines du Pas-de-Calais.

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Le prix de la lumière partie 2 En 1950, les chevaux

En 1950, les chevaux. à cette époque, il n’en restait plus que deux là où je travaillais. Ils avaient été peu à peu remplacés par des locomotives diesel, un progrès que beaucoup saluaient. Leur vie au fond, bien que celle d’un animal, n’avait rien d’humain.
Ces chevaux ne remontaient jamais à la surface. S’ils le faisaient, c’était uniquement à la fin de leur carrière, pour un dernier voyage, celui qui les menait à l’abattoir. Mais pendant leurs années au fond, ces animaux développaient une connexion unique avec les mineurs.
Celui que j’ai connu avait son caractère, ses habitudes. Il connaissait ses hommes, et ses hommes le connaissaient. On racontait beaucoup d’histoires sur ces chevaux, souvent avec tendresse et admiration, car ils étaient remarquablement intelligents. Chaque mineur avait à cœur de lui apporter une petite friandise : une carotte, une tartine, quelque chose pour illuminer ses longues journées sous terre.
Je me souviens d’un comportement qui faisait sourire tout le monde. Lorsque nous arrivions dans la galerie et qu’il se tenait en plein milieu, il se faisait reconnaître. Nous avions la lumière, mais lui, habitué à l’obscurité, n’en avait pas besoin. Il secouait tout son corps, comme pour dire : « Attention, je suis là ! » Et si, par habitude, vous aviez pour lui une friandise, il ne vous laissait pas passer avant de l’avoir reçue. Il bloquait le passage de son arrière-train, immobile, jusqu’à ce que vous cédiez. Une fois satisfait, il s’écartait docilement, presque avec dignité.
On disait aussi qu’il savait compter. Quand on accrochait des berlines à son harnais, il écoutait attentivement le cliquetis des chaînes. Si on en ajoutait trop, il s’arrêtait net, refusant de tirer tant qu’on n’en avait pas décroché une ou deux.
Parfois, je passais avec le géomètre, et je me souviens encore des conversations qu’il avait avec lui, comme s’il parlait à un vieil ami. Le géomètre lui disait, dans un ton plein de promesses : « On va te remonter un jour, tu verras. Tu iras dans une grande prairie, avec de l’herbe bien verte. Il y aura une jument, et tu gambaderas librement. » Et le cheval, comme s’il comprenait chaque mot, secouait son corps, semblant dire : « Merci. »
Le maréchal-ferrant, lui aussi, connaissait bien ce cheval. Avec patience et soin, il soignait chaque éraflure qu’il avait sur le corps, souvenirs des passages étroits et rugueux de certaines galeries. Ces gestes d’attention faisaient partie de la vie souterraine, où chaque être, homme ou animal, trouvait une forme de respect.
Puis venait l’heure de la fin de journée. Le meneur de chevaux, qu’on appelait affectueusement le « meneux d’bidets », le détachait et lui disait simplement : « Allez, va ! » Le cheval partait alors au galop vers l’écurie, sans se soucier de ce qui se trouvait sur son chemin. On l’entendait venir de loin, ses sabots frappant la pierre avec une cadence régulière et puissante. À l’écurie, près de l’accrochage où tous les mineurs passaient pour aller au chantier ou remonter, il trouvait son avoine bien méritée.
Ces souvenirs d’un cheval, à la fois compagnon et ouvrier, restent gravés dans ma mémoire. Dans cet enfer souterrain, il apportait une lueur de vie, une relation unique qui transcendait la simple utilité. Il était l’âme silencieuse des galeries, une force de travail, mais aussi un symbole de la résilience partagée par tous ceux qui vivaient et travaillaient dans l’ombre.

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Le prix de la lumière partie 2 Hercule le cheval des Mines

Dans les galeries sombres et étouffantes des mines du Pas-de-Calais, un géant au cœur tendre travaillait aux côtés des hommes : un puissant percheron nommé Hercule. Ce cheval, dont la force dépassait l’imagination, était essentiel à la vie des mineurs. Il tirait des wagons chargés de charbon, affrontant l’obscurité et l’étroitesse des tunnels. Mais pour Marcel, Hercule n’était pas qu’un animal de travail. Il était son confident et son compagnon.
Marcel était arrivé à la mine où d’autres enfants allaient encore à l’école. Le casque trop grand sur sa tête, il s’efforçait de faire son travail sans se plaindre, mais il rêvait souvent d’un monde au-delà de la mine. Lorsqu’il croisait Hercule, il trouvait du réconfort dans les grands yeux doux de l’animal. Le boulonnais semblait comprendre ses peurs et ses espoirs. Marcel aimait poser sa petite main sur son large encolure et murmurer des histoires de plaines verdoyantes, là où les chevaux galopaient libres sous le ciel.

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Le prix de la lumière partie 2 un terrible éboulement

Un jour, alors que Marcel et Hercule travaillaient dans une galerie profonde, un terrible éboulement survint. La roche s’effondra dans un fracas assourdissant, coupant toute issue. Dans la poussière épaisse et l’obscurité totale, Marcel agrippa instinctivement la bride d’Hercule. « Tout va bien, mon grand, je suis là », murmura-t-il, même si sa propre voix tremblait de peur.
Le percheron, d’un calme presque surnaturel, baissa la tête vers Marcel comme pour lui dire qu’ils étaient ensemble dans cette épreuve. Marcel, guidé par le courage que lui inspirait Hercule, tâtonna dans les débris, cherchant un passage. Mais chaque tentative se soldait par un mur infranchissable.
C’est alors qu’Hercule, d’un coup de tête puissant, poussa Marcel doucement vers une ouverture à peine visible. Le jeune garçon comprit que le cheval avait senti un courant d’air, signe qu’une sortie était proche. Mais l’espace était trop étroit pour Hercule. Marcel hésita, les larmes aux yeux. « Je ne peux pas te laisser ici… »

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Le prix de la lumière partie 2 un dernier regard

Hercule hennit doucement, comme pour le rassurer. Avec un dernier regard empli de tristesse et de gratitude, Marcel se glissa à travers l’ouverture. À l’extérieur, il retrouva les mineurs, qui s’étaient mobilisés pour dégager les éboulis. Marcel leur cria qu’Hercule était toujours coincé à l’intérieur.

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Le prix de la lumière partie 2 Les entrailles

Les hommes, touchés par le lien entre le garçon et le boulonnais, redoublèrent d’efforts. Ils creusèrent pendant des heures, jusqu’à ce qu’un passage suffisant soit dégagé. Hercule, couvert de poussière mais indemne, sortit enfin des entrailles de la terre sous les applaudissements de tous.

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Le prix de la lumière partie 2 La liberté

Ce jour-là, le propriétaire de la mine, ému par cette histoire d’amitié, décida qu’Hercule ne retournerait plus sous terre. Le percheron fut confié à une ferme voisine, où il pourrait vivre une retraite paisible. Marcel, lui, passait chaque jour après son travail pour voir son ami. Il aimait le regarder galoper librement, sa crinière au vent, et se rappeler que même dans les moments les plus sombres, leur lien indéfectible avait illuminé leur chemin.

A suivre…

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Le prix de la lumière partie 2 Marcel, le jeune galibot

Marcel, le jeune galibot, découvrait un monde aussi sombre qu’intense.
Ses premiers mois dans les galeries des mines avaient été une plongée brutale dans une vie d’adulte, bien loin des jeux insouciants de l’enfance. La chaleur étouffante, la poussière omniprésente, et les échos sourds des wagons sur les rails formaient un univers qui s’imposait à lui, jour après jour. Mais au-delà de la rudesse et des épreuves, ces semaines avaient été empreintes d’émotions profondes.
Chaque matin, Marcel ajustait son casque, trop grand pour sa tête frêle, et descendait dans les entrailles de la terre. La peur, tapie dans l’obscurité, se mêlait à une étrange fierté. Il était l’un des leurs désormais, un galibot, un rouage essentiel de cette immense machine humaine. Il écoutait les histoires des anciens, ces hommes aux visages burinés par des années de labeur, et s’accrochait à leurs mots comme à des fils de lumière dans l’obscurité.
Mais ce n’était pas seulement la dureté de la vie des mines qui marquait Marcel. C’était aussi les liens qu’il tissait. Hercule, était devenu bien plus qu’un simple compagnon de travail. Marcel voyait en lui un reflet de sa propre condition : un être fort et résilient, enfermé dans ce monde souterrain, mais animé d’une volonté inébranlable. Chaque soir, avant de remonter à la surface, il rêvait de liberté, des rêves d’air pur et de vastes horizons.
Les moments de camaraderie avec les mineurs étaient aussi précieux. Entre deux coups de pioche, des rires s’échappaient parfois, brisant la lourdeur ambiante. Un surnom affectueux lancé dans les galeries, un geste d’entraide pour pousser un wagon récalcitrant… Ces petits instants de solidarité illuminaient les jours les plus sombres.
Et puis, il y avait le retour à la surface, ce moment unique où la lumière du jour, aussi crue qu’éblouissante, semblait redonner vie à son âme. Chaque coucher de soleil, chaque souffle d’air frais lui rappelait qu’il appartenait aussi à ce monde d’en haut.
La rudesse de la mine forgeait Marcel, mais elle n’éteignait pas ses rêves. Au contraire, elle les rendait plus vivants, plus précieux. Il s’accrochait à l’idée qu’un jour, il trouverait sa place au-delà des galeries, un futur où il pourrait raconter son histoire, celle d’un jeune garçon devenu homme dans les profondeurs du Pas-de-Calais.

Le prix de la lumière partie 2 Le dimanche avait une saveur particulière

Le dimanche avait une saveur particulière dans notre maison, une journée suspendue entre excitation et angoisse. Les mines restaient silencieuses, mais une autre tension flottait dans l’air, tout aussi palpable. Ce jour-là, nous scrutions l’horizon avec une ferveur presque religieuse, attendant l’arrivée des pigeons voyageurs.
Mon père, François, était coulonneux, et cette passion était le battement de cœur de nos dimanches. Dès l’aube, il préparait ses oiseaux avec une minutie presque solennelle. Le bruit des battements d’ailes, les caresses délicates qu’il leur prodiguait, et les murmures qu’il leur adressait formaient un rituel immuable. « Allez, mes braves. Revenez vite. » Sa voix, empreinte de tendresse et de fermeté, résonnait comme une prière.
Puis, le moment venu, les pigeons étaient libérés, s’envolant avec grâce et détermination. Nous restions là, ma mère, mes frères, mes sœurs, et moi, le regard fixé sur le ciel, comme si nos espoirs étaient accrochés à leurs ailes. Le silence devenait presque assourdissant, interrompu seulement par le tic-tac d’une vieille horloge ou par le souffle du vent dans les arbres.
Le temps semblait s’étirer à l’infini. Mon père, stoïque en apparence, ne trompait personne. Ses mains calleuses, habituées à la dureté du travail à la mine, trahissaient son impatience lorsqu’elles se refermaient nerveusement sur son chronomètre. Chaque instant écoulé était un mélange d’espoir et d’inquiétude. Reviendraient-ils ? Seraient-ils en tête ?
Et puis, soudain, un cri jaillissait : « Ils arrivent ! » L’horizon se remplissait d’un battement d’ailes familier. Les pigeons descendaient en piqué, comme s’ils comprenaient l’urgence de notre attente. Mon père, un sourire rare éclairant son visage marqué par les années, les accueillait avec des gestes précis et experts.
Chaque retour était une victoire, une petite échappée belle dans une vie souvent marquée par l’âpreté du quotidien. À travers ses pigeons, mon père trouvait une liberté qu’il n’avait jamais eue. Ils volaient pour lui, pour nous, porteurs de rêves et de fierté.
Le dimanche, dans notre maison, ce n’était pas seulement une passion. C’était un moment de communion, une manière d’échapper à la rudesse du sol pour s’élever, ne serait-ce qu’un instant, vers le ciel infini.

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Le prix de la lumière partie 2 Un coulonneux

Un coulonneux est un terme populaire utilisé principalement dans le Nord de la France et en Belgique pour désigner un éleveur et passionné de pigeons voyageurs. Ces amateurs participent souvent à des compétitions de colombophilie, un sport consistant à organiser des courses où les pigeons sont lâchés à une certaine distance de leur colombier, et où le plus rapide à revenir est le gagnant.
Le terme « coulonneux » vient de « coulon », un mot ancien signifiant « pigeon ». Ce hobby, très ancré dans les traditions ouvrières, était particulièrement répandu dans les régions minières comme le Nord-Pas-de-Calais, où les mineurs trouvaient dans l’élevage de pigeons une distraction et une passion en dehors de la dure vie des mines. Le pigeon voyageur était aussi un symbole de loyauté et de persévérance, des valeurs chères aux communautés ouvrières.
Être coulonneux, c’est donc bien plus qu’un passe-temps : c’est un art de vivre, une tradition qui mêle patience, soin des animaux et passion pour les compétitions.

Le prix de la lumière partie 2 Le retour du champion

Lorsque le pigeon franchissait enfin le seuil du pigeonnier, un frisson d’excitation parcourait François. Tout le travail, la patience, et les espoirs de la journée semblaient suspendus à cet instant précis. Ses mains, marquées par les années de labeur à la mine, s’affairaient avec une précision presque religieuse.
D’un geste sûr, il attrapait l’oiseau, encore vibrant de l’effort de sa course. Les plumes, lisses et brillantes, portaient les traces du voyage, et dans le regard vif du pigeon, François lisait une fierté partagée. Avec une délicatesse qui contrastait avec sa carrure robuste, il retirait la bague de concours qui ceignait la fine patte de l’animal. Cette bague, minuscule témoin de l’exploit accompli, était bien plus qu’un simple accessoire. Elle portait en elle la preuve irréfutable de l’heure du départ et du retour, l’empreinte d’un vol héroïque à travers le ciel du Nord.
François se dirigeait ensuite vers un appareil posé sur une table, dans un coin du colombier. C’était le constateur, une machine robuste et ingénieuse, cœur mécanique de la colombophilie. Il glissait la bague dans l’ouverture prévue à cet effet et abaissait le levier avec une satisfaction contenue. Un cliquetis métallique résonnait, et l’appareil inscrivait, sur une bande de papier, la date et l’heure exactes de l’arrivée.
Ce moment, à la fois simple et solennel, représentait bien plus qu’un enregistrement. C’était l’aboutissement d’un lien indéfectible entre François et ses pigeons. Chaque vol, chaque course, n’était pas qu’un défi sportif : c’était une preuve de confiance, une aventure partagée entre l’homme et l’oiseau.
Après avoir enregistré l’heure, François posait un regard empli de fierté sur le pigeon, qui s’ébrouait doucement, savourant son retour. « Bravo, mon gars », murmurait-il avec un sourire rare, mais sincère.
Ces instants, dans la lumière tamisée du pigeonnier, étaient des trésors. Ils parlaient d’un homme et de sa passion, d’une tradition vieille comme le Nord, et d’un amour sans faille pour ces messagers ailés qui défiaient le ciel et le temps.

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Le prix de la lumière partie 2 Le voyage du constateur

Une fois la bague soigneusement enregistrée dans le constateur, François prenait un moment pour souffler. Ce petit appareil, posé sur la table en bois du pigeonnier, portait désormais l’espoir d’une victoire. Il contenait la preuve du retour de son champion, ce pigeon qui avait défié le ciel pour rentrer au bercail.
François essuya ses mains sur son pantalon, attrapa son vélo, et fixa le constateur avec précaution sur le porte-bagages. Le geste était précis, presque rituel. Il savait que chaque seconde comptait. La course n’était pas vraiment finie tant que le constateur n’avait pas été dépouillé au local des colombophiles.
Il enfourcha son vélo, le vieux cadre grinçant légèrement sous son poids, et s’élança sur le chemin de terre qui menait au village. La route, bordée de champs et d’arbres, semblait vibrer au rythme de son enthousiasme. Le vent caressait son visage, et les rayons du soleil jouaient avec les ombres des corons qu’il laissait derrière lui.
Le local des colombophiles était le cœur battant de la communauté, un lieu où se mêlaient la passion, la camaraderie, et une pointe de compétition. À son arrivée, François fut accueilli par un mélange de rires, de salutations chaleureuses et de regards curieux. Chacun tenait son constateur comme un trésor, impatient de connaître le résultat.
Il déposa son appareil sur la table prévue à cet effet, où un bénévole commença le dépouillement. Les minutes s’étirèrent comme des heures alors que les données étaient vérifiées, comparées et enregistrées. François, pourtant d’un naturel discret, ne put s’empêcher de jeter des coups d’œil anxieux.
Enfin, le verdict tomba. Son pigeon, ce petit messager courageux, avait fait honneur à son colombier. Une fierté discrète éclaira son visage tandis qu’il acceptait les félicitations de ses camarades. Pour François, ce n’était pas seulement une question de classement. C’était la récompense d’un lien tissé avec soin, d’une confiance mutuelle entre l’homme et l’oiseau.
Sur le chemin du retour, le constateur vide attaché à son vélo, François pédalait avec un sentiment de plénitude. La journée touchait à sa fin, mais le ciel du Nord, encore teinté d’orange et de bleu, semblait lui chuchoter que demain serait un autre jour pour rêver, pour voler un peu plus haut.

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Le prix de la lumière partie 2 François, mon père

François, mon père, était un homme de courage et de ténacité. Mineur de profession, il occupait le rôle crucial de poudrier, un métier périlleux exigeant précision et sang-froid. Mais François n’était pas seulement un ouvrier du charbon, il était aussi le deuxième enfant d’une famille marquée par la force et la résilience, façonnée par l’histoire.
Son père, Jean, était un homme robuste, un immigré venu de Pologne avec l’espoir de bâtir une vie meilleure pour sa famille. Mais le destin ne fut pas tendre avec lui. Un jour, au fond des mines, la cage d’ascenseur – ce poumon mécanique reliant la surface aux entrailles de la terre – devint son bourreau. L’accident fut terrible. Sa jambe, broyée sans pitié, dut être amputée. Ce moment tragique aurait pu briser l’esprit de bien des hommes, mais pas celui de Jean. Il se releva, littéralement, avec une jambe de bois, symbole de sa lutte contre l’adversité. Je me souviens encore du bruit caractéristique de cette jambe de bois, écho de sa détermination, lorsqu’il marchait dans la maison.
François grandit dans l’ombre de cet héritage, entouré d’un mélange de douleur et de fierté. L’histoire de son père n’était pas un simple récit familial, mais un rappel quotidien des sacrifices et de la force nécessaires pour survivre. Cela façonna François, lui inculquant une rigueur et un dévouement qui lui permirent d’affronter les défis de son propre métier.
Au fond des galeries obscures, entouré de la poussière de charbon et du danger omniprésent, François trouvait sa force dans les racines familiales. Chaque jour, son rôle de poudrier lui rappelait l’importance de chaque geste, chaque décision, dans un monde où une erreur pouvait être fatale. Mais François portait cette responsabilité avec une humilité remarquable, un héritage silencieux des valeurs transmises par son père.
Ainsi, notre histoire familiale s’écrit dans les veines sombres du charbon, dans le bruit sourd des mines et dans la lumière vacillante des lampes de mineurs. François, Jean, et leur courage partagent une leçon intemporelle : celle de se relever, même quand la vie tente de nous mettre à genoux.

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Le prix de la lumière partie 2 Jean était un homme de courage

Jean était un homme de courage et de sacrifice, un immigré polonais venu chercher une vie meilleure dans les profondeurs du Nord-Pas-de-Calais. Avec ses mains calleuses et son cœur robuste, il avait quitté sa terre natale, emportant dans sa valise un mélange d’espoir et de résignation. Les mines de charbon devinrent rapidement son quotidien, et l’abattage, son labeur.
Dans les galeries sombres, là où la lumière des lampes se battait pour percer l’épaisse poussière, Jean maniait le marteau et la pioche avec une détermination inébranlable. Chaque coup porté à la roche résonnait comme un rappel des défis qu’il avait dû surmonter, un dialogue silencieux entre l’homme et la terre. L’abattage n’était pas qu’un travail pour Jean, c’était une bataille quotidienne, une danse acharnée avec le danger, où l’effort physique se mêlait à une volonté indomptable.
Mais les années passèrent, et avec elles, la poussière insidieuse des mines trouva refuge dans ses poumons. La silicose, cette ennemie invisible et silencieuse, s’installa progressivement, grignotant sa capacité à respirer, à vivre pleinement. Jean continuait pourtant à descendre chaque jour, comme un soldat face à son destin. Sa fierté ne lui permettait pas de montrer sa douleur, et son amour pour sa famille lui donnait la force de tenir, encore et encore.
En fin de carrière, Jean était un homme marqué par le travail et la maladie. La silicose, à 100 %, l’avait affaibli, mais elle n’avait jamais éteint l’étincelle dans son regard. Même assis sur sa chaise, son souffle court et laborieux, il racontait fièrement les histoires des mines, des camarades, des rires partagés et des silences lourds de fatigue. Il était devenu un pilier de mémoire, une incarnation vivante de l’histoire de milliers d’hommes comme lui.
Jean, avec son parcours de vie, incarnait plus qu’un simple mineur. Il était le témoin d’une époque, le gardien d’un héritage de sueur, de courage et de sacrifice, un rappel poignant des racines profondes de la communauté minière. Et même lorsque ses poumons le trahirent, son cœur, lui, battait encore pour ses proches et pour la terre qui l’avait adopté.

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Le prix de la lumière partie 2 Ma grand-mère Gertrude

Ma grand-mère Gertrude était une femme d’une force tranquille, une âme infatigable qui portait sur ses épaules le poids d’une maison et la vie d’une famille. Toujours vêtue de son tablier usé mais propre, et avec son foulard solidement noué sur la tête, elle semblait être le cœur battant de son foyer. Ce foulard, presque une couronne, témoignait de sa dignité et de son énergie, et il ne quittait jamais sa tête, même dans les moments les plus simples.
Du matin au soir, Gertrude orchestrait les tâches de la maison avec une précision et une efficacité qui forçaient l’admiration. Elle connaissait chaque recoin de son univers, chaque objet ayant une place, chaque geste une intention. Que ce soit le linge à laver, les repas à préparer ou les sols à briquer, elle s’attelait à tout avec un dévouement silencieux, transformant la routine en un art du soin et de l’amour.
Mais Gertrude n’était pas seulement la gardienne de la maison. Dans le jardin derrière la petite maison des corons, elle régnait sur son royaume de plumes. Ses oies étaient ses compagnes, son fief, et elle les veillait avec une attention qui semblait mêler tendresse et discipline. On pouvait souvent la voir, le tablier taché de quelques éclats de terre, une main posée sur sa hanche, l’autre tendue pour distribuer des grains. Les oies, dociles mais bruyantes, semblaient respecter cette femme qui s’occupait d’elles avec autant de soin qu’elle donnait à sa famille.
Il y avait une magie dans ces scènes du quotidien. Gertrude, au milieu de son jardin, le soleil jouant avec les plis de son foulard, ses gestes précis et attentionnés, incarnait l’âme d’une époque et d’un lieu. Elle était le pilier discret mais essentiel, l’harmonieuse mélodie de la vie ordinaire. Et même dans le tumulte des corons, dans le bruit des mines et l’agitation des jours, elle était là, immuable, une source de stabilité et d’amour.

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Le prix de la lumière partie 2 L’hiver

L’hiver, lorsque le froid s’installait et que la neige recouvrait les corons d’un manteau blanc, Gertrude se transformait en artisane du confort. Dans la chaleur de la petite maison des mines, elle s’asseyait près de la table de cuisine, son tablier soigneusement noué et son foulard bien en place, prête à accomplir un rituel qu’elle maîtrisait à la perfection : le tri du duvet d’oie.
Avec des gestes précis et empreints de douceur, elle séparait les plumes légères, presque aériennes, du reste. Ses mains, robustes mais délicates, semblaient danser au rythme d’un savoir-faire transmis de génération en génération. Chaque duvet trié était une promesse de chaleur, un rempart contre les nuits glaciales des hivers du Nord. Gertrude ne se contentait pas de fabriquer des pierzyna épaisses et réconfortantes ; elle confectionnait aussi les poduszkas, ces oreillers polonais moelleux, véritables cocons pour les rêves.
L’odeur subtile des plumes, le craquement du bois dans le poêle à charbon, et la lumière vacillante de la lampe à huile formaient une atmosphère unique, empreinte de sérénité. Pendant qu’elle travaillait, elle fredonnait parfois de vieilles chansons polonaises, des mélodies douces et mélancoliques qui évoquaient sa terre natale, mêlant passé et présent dans une harmonie fragile.
Ces pierzyna et poduszkas, tissées d’amour et de patience, devinrent bien plus que des objets. Elles étaient le témoignage tangible de l’attention que Gertrude portait à sa famille, un cadeau fait de ses mains et de son cœur. Chaque nuit, blottis sous ces créations, nous ressentions la chaleur de son dévouement, une chaleur qui défiait le froid le plus mordant et qui semblait dire : « Dormez en paix, mes enfants, je veille sur vous, même dans vos rêves. »
Ainsi, l’hiver n’était pas seulement une saison rude, mais aussi une période de douceur et d’intimité, grâce à Gertrude et son royaume de plumes.

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Le prix de la lumière partie 2 Marcel

Marcel, je me souviens encore de la chaleur simple mais réconfortante qui émanait du modeste foyer de mes grands-parents, niché au cœur des corons. Leur maison, bien que petite et dépouillée, respirait l’authenticité et l’amour. C’était un lieu de refuge, un cocon où chaque objet semblait avoir une histoire à raconter, chaque recoin un écho du passé.
Dans leur maison, allouée par la compagnie minière, il y avait une fierté tranquille, celle d’une vie construite à la sueur du front et au prix des sacrifices. Les loyers étaient pris en charge par la mine, un geste rare et précieux dans une époque marquée par la rudesse du travail. Ce toit au-dessus de leur tête était plus qu’un logement ; il était le symbole d’une communauté solidaire, d’un monde où les familles de mineurs partageaient les joies, les peines, et une destinée commune.
Mais ce qui me frappait le plus, c’était la générosité de cette époque en matière de soins. La compagnie prenait en charge la santé de chaque famille. Les médecins passaient régulièrement, veillant sur les ouvriers et leurs proches comme des gardiens silencieux. À une époque où la vie était rude et les ressources rares, cette prise en charge était une bénédiction. Mes grands-parents, malgré les épreuves, portaient cette gratitude dans leur regard, un mélange de résilience et de reconnaissance.
Ces moments passés chez eux, à les observer dans leur quotidien, me remplissaient de bonheur. Leur simplicité, leur force et leur humilité étaient pour moi des leçons de vie précieuses. Dans ce foyer modeste mais chaleureux, j’apprenais ce que signifiaient l’amour familial, la dignité du travail et la valeur des choses simples. C’est un héritage que je porte encore en moi, comme un trésor que rien ne peut ternir.

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Le prix de la lumière partie 2 Élise et Jules

Au cœur des corons du nord de la France, où les maisons de briques rouges s’alignaient comme des soldats fatigués, Élise grandissait. Elle avait dix-huit ans, des cheveux châtains noués à la hâte, et des rêves plus grands que les mines qui engloutissaient chaque matin son père et ses frères. Ses journées étaient rythmées par le claquement des sabots sur les pavés, le sifflement du vent glacial et le tintement des casseroles dans les cuisines des ouvrières.
Jules, lui, avait vingt ans. Il était arrivé récemment, avec ses mains rugueuses et ses yeux sombres, chargé d’un lourd passé laissé derrière lui à Lille. Les corons étaient son refuge, mais il n’y voyait qu’un paysage d’ombres et de poussières, loin des rêves de liberté qui l’habitaient. Pourtant, c’est ici qu’il rencontra Élise, un matin brumeux, alors qu’elle tendait des draps blancs sur une corde à linge. Le blanc éclatant tranchait avec le gris omniprésent des briques et du ciel.
« Vous êtes nouvelle ici, non ? » demanda Élise, curieuse, sa voix claire rompant le silence pesant des corons.
Jules hocha la tête. Il avait peu de mots, mais beaucoup à dire dans ses regards. Jour après jour, ils se croisèrent. Elle lui parlait de ses rêves d’évasion, de la mer qu’elle n’avait jamais vue, des livres qu’elle lisait en cachette dans l’obscurité. Lui, en échange, racontait ses souvenirs d’enfance, ses désillusions, et cet espoir qu’il portait encore au fond de lui, malgré les mines et leurs entrailles sombres.
Un soir d’hiver, alors que la sirène des mines retentissait, un accident bouleversa les corons. Une explosion sous terre laissa plusieurs familles dans la douleur. Parmi les disparus, le père d’Élise et son frère cadet. La petite maison de briques semblait encore plus froide, plus vide. Jules, pourtant habitué à la rudesse de la vie, sentit son cœur se serrer devant les larmes silencieuses d’Élise.
Ce drame les rapprocha davantage. Ils décidèrent alors qu’ils ne laisseraient pas les corons dicter leur destin. Ensemble, ils rêvèrent d’un avenir différent. Jules économisa chaque sou qu’il gagnait, refusant les tentations du bistrot, tandis qu’Élise cousait des vêtements pour les voisines, dans l’espoir de partir, loin, très loin. La solidarité des corons, malgré leur austérité, les aidait : un voisin offrait un sac de charbon, une autre une miche de pain.
Le jour tant attendu arriva. Avec une valise en bois et des larmes au bord des yeux, Élise et Jules quittèrent les corons un matin de printemps. Ils laissèrent derrière eux le souvenir des mines, mais emportèrent la solidarité, la force, et les leçons que ces briques rouges leur avaient inculquées.
Des années plus tard, installés près de la mer, Jules et Élise racontèrent cette histoire à leurs enfants. Et à chaque retour dans le nord, lorsqu’ils voyaient les corons, ils ne voyaient plus seulement la dureté de la vie ouvrière, mais aussi l’amour, la résilience et la lumière qui avait guidé leurs pas hors de l’ombre.

Le prix de la lumière partie 2 Chaque dimanche après-midi

Chaque dimanche après-midi, c’était un rituel immuable : je partais assister au match de l’équipe de football de la compagnie. Ces moments avaient une saveur particulière, presque sacrée, dans la vie austère des corons. L’équipe, composée uniquement de mineurs, portait avec fierté les couleurs de cette fraternité forgée dans les entrailles de la terre.
Le stade de Lens, vaste et vibrant, n’appartenait pas seulement à la compagnie. Il appartenait aux hommes, à leurs familles, à tout un peuple. Chaque pierre, chaque gradin semblait imprégné de l’histoire de ces travailleurs qui, une fois sortis des mines, troquaient leurs casques et leurs lampes pour des crampons et un ballon.
Le dimanche, le gris du charbon laissait place à la passion du jeu. Les clameurs des supporters résonnaient comme un écho de la solidarité qui animait les corons. On y voyait les pères, les fils, et parfois même des voisins, tous réunis pour encourager l’équipe. Sur le terrain, les joueurs, pourtant épuisés par leur labeur de la semaine, se donnaient corps et âme. Chaque passe, chaque tir, chaque but semblait transcender la rudesse de leur quotidien.
Moi, je me glissais parmi la foule, le cœur battant à l’unisson des chants et des cris d’encouragement. Il ne s’agissait pas seulement de football. C’était une célébration de leur résilience, un moment volé à la dureté de la vie. Le vent portait avec lui l’odeur des beignets et des frites, mêlée à celle plus lourde de la fumée de charbon qui flottait encore au-dessus des maisons.
Quand l’équipe marquait, le stade tout entier s’embrasait. Les femmes applaudissaient, les enfants couraient autour des bancs en riant, et les hommes, pour une fois débarrassés de leur fatigue, laissaient éclater leur joie.
Ces dimanches après-midi n’étaient pas seulement des matchs. Ils étaient une échappatoire, une déclaration d’espoir. Et moi, assis là, entouré de cette ferveur, je me sentais vivant, connecté à ces hommes et à leur combat, à ces instants où le jeu devenait bien plus qu’un simple sport : il devenait un symbole d’unité, de force, et de lumière dans l’ombre.

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Le prix de la lumière partie 2 Après chaque match

Après chaque match, c’était un rituel presque sacré. Une fois les acclamations et les chants retombés, nous nous rassemblions en petits groupes, encore électrisés par l’ambiance du stade. Autour d’un café ou d’une bière, parfois même en marchant sur le chemin du retour, on se lançait dans de longues discussions animées. Chacun devenait entraîneur, stratège ou critique passionné. On passait en revue les exploits et les failles de nos joueurs, pesant avec ferveur leurs qualités et leurs défauts.
Le gardien avait-il été trop hésitant ? Le milieu de terrain aurait-il dû tenter une passe plus audacieuse ? Et l’attaquant, ce héros d’un dimanche, avec ce but magnifique qui résonnerait encore dans nos mémoires, avait-il vraiment su exploiter chaque occasion ? Et puis, il y avait l’équipe adverse. On les analysait avec la même minutie, parfois avec un mélange d’admiration et de rivalité. « Leur numéro 10, tu l’as vu ? Une vraie gazelle sur le terrain. Mais leur défense, un vrai gruyère ! »
Ces débats ne s’arrêtaient pas au bord du terrain. Ils nous suivaient toute la semaine, jusque dans les entrailles des mines. Entre deux coups de pioche, dans l’écho des galeries sombres et humides, on reprenait nos discussions. Les lanternes éclairaient à peine nos visages, mais nos voix, elles, illuminaient ces moments de labeur. « Moi, je te dis, la prochaine fois, il faut aligner Julien dès le début. Il a le sens du jeu. » « Tu crois ? Et si on misait plutôt sur une défense renforcée ? »
Ces échanges faisaient vibrer nos journées monotones. Ils étaient bien plus que des conversations sur un match de football. C’était une façon de nous sentir vivants, un lien qui nous unissait au-delà du charbon et de la poussière. Et lorsque le dimanche suivant arrivait, on reprenait notre place dans le stade, plus passionnés que jamais, prêts à encourager nos héros et à recommencer ce cycle d’espoir, de critique, et d’amour pour le jeu.

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Le prix de la lumière partie 2 Après cette journée mémorable

Après cette journée mémorable au stade, où les chants et les cris résonnaient encore dans ma tête, je repris mon poste au triage dès le lendemain. L’air de la galerie principale était lourd, saturé de poussière et d’humidité. La lueur des lampes des mineurs dansaient sur les parois sombres, dessinant des ombres mouvantes. C’était le quotidien du monde souterrain, un univers rude et silencieux, où chaque homme portait son fardeau avec dignité.
Alors que je déplaçais les blocs de charbon sur le tapis roulant, le porion, un homme imposant avec un regard perçant, s’approcha de moi. Il posa une main lourde sur mon épaule, comme pour mesurer ma force, et déclara d’une voix grave, mais non dénuée de bienveillance :
— Demain, Marcel, tu iras à l’abattage avec ton frère Charles. Il t’apprendra le métier.
Ses mots résonnèrent dans le silence, comme une sentence et une promesse à la fois. L’abattage, c’était le cœur du métier de mineur, là où les hommes affrontaient la roche elle-même pour en extraire la richesse noire. C’était aussi un rite de passage, une étape où l’on cessait d’être un simple galibot pour devenir un véritable mineur.
Charles, mon frère aîné, m’attendrait au fond, dans cette obscurité où seul le bruit des pioches et le souffle des hommes brisaient le silence. Il était déjà une figure respectée dans la mine, fort et expérimenté, un modèle pour beaucoup, y compris pour moi. L’idée de travailler à ses côtés me remplissait d’un mélange de fierté et d’appréhension.
Je hochai la tête en signe d’acquiescement, mais les mots du porion continuaient à résonner en moi bien après qu’il se soit éloigné. Le lendemain, ma vie allait changer. J’entrerais dans une nouvelle dimension de ce monde souterrain, guidé par Charles, et j’apprendrais ce qu’il fallait pour être un mineur, un vrai, dans l’ombre et le tumulte de l’abattage.
Ce soir-là, assis près de la cheminée, les mains encore noircies par le charbon, je regardais Charles avec des yeux différents. Lui, il ne disait rien, comme si tout cela allait de soi. Mais dans son silence, je savais qu’il serait là, à mes côtés, pour m’apprendre, pour m’épauler, et pour m’aider à porter ce fardeau qu’était la vie des corons.