L’Angleterre retourne au charbon

A Hatfield Colliery, dans le Yorkshire, les gueules noires ont repris du service. Associées à des jeunes recrues, elles font revivre les mines, redevenues compétitives grâce à l’envolée des prix de l’énergie.

Le charbon : énergie du futur ?

En Angleterre, la mine de charbon de Hatfield, ouverte en 1908 et fermée en 2004, est en train de renaître. Elle devrait être à  nouveau exploitée à  partir du printemps 2007. Le gisement, d’excellente qualité, assurera quarante ans de production, au rythme annuel initial de 2,5 millions de tonnes. Le charbon produit servira essentiellement à  la production d’électricité. Rappelons qu’actuellement la Grande-Bretagne importe plus de charbon qu’elle n’en extrait. Pendant 20 ans la Grande-Bretagne fut autosuffisante en énergie grâce au pétrole et au gaz de la mer du Nord. Du fait de l’épuisement rapide de ces deux ressources, le pays découvre maintenant la dépendance énergétique.

Tel un géant assoupi, le puit d’Hatfield émet un ronronnement familier. Comme une réminiscence des années prospères de l’Angleterre charbonnière, un chevalement cinquantenaire tire en grinçant la cage qui ramène les mineurs de leur tournée de huit heures. Brinquebalante, elle s’arrête et charge une équipe de huit personnes. La sonnerie retentit. Jack Saunders, 19 ans, s’apprête à descendre.

Il fait partie des cinquante « petits nouveaux », jeunes recrues entre 19 et 22 ans. Lui conduit le train qui emmène les mineurs sur le front de taille. Parti sur les traces de son grand-père, de son père, de son oncle et de son frère, il n’avait qu’une envie : reprendre le flambeau : « Mon père n’a pas eu besoin de me pousser, dit-il. J’ai toujours voulu aller au puit pour voir à quoi cela ressemblait. On s’habitue à la poussière, à la chaleur et à l’obscurité, confie-t-il. Surtout je ne sais jamais ce qui va m’arriver. C’est ça qui est excitant ».

L’espace d’un instant, le temps semble s’être arrêté il y a 20 ans, avant la liquidation des mines décidée par les plans drastiques de Margaret Thatcher. Pourtant, depuis qu’Hatfield a recommencé à produire en avril 2007 avec assez de réserves pour durer 50 années, l’industrie du charbon connaît une véritable résurrection dans ce sud du Yorkshire. L’entreprise qui en a eu l’idée, Powerfuel, n’a eu aucun mal à recruter les 300 employés qui lui manquaient. La plupart sont anciens mineurs ou fils de mineurs. La ressemblance avec les années 80 s’arrête là. « Les techniques ont beaucoup évolué et lorsque nous les embauchons, les mineurs suivent une formation de base pendant 20 jours, puis une période d’apprentissage de 6 mois, explique Robert Lucas, en charge du recrutement et de la formation. Aujourd’hui, ce n’est plus un travail de forçat, c’est un travail d’ingénieur basé sur des technologies de pointe ».

Une question de ténacité

« King Coal » -de son vrai nom Richard Budge- tient sa revanche. Le patron de Powerfuel s’est forgé cette réputation en achetant la totalité des mines anglaises lors de leur privatisation le 1er janvier 1995. Lorsque, 7 ans plus tard, il démissionne sous la pression de ses actionnaires, Hatfield Colliery est l’un des rares puits qu’il n’avait pas acquis. Alors il a ce flair et la ténacité qui font les hommes d’affaires. « Le filon High Hazel était presque épuisé, or 70 mètres plus bas se trouvait le filon Barnsley, le plus riche du pays, d’une épaisseur de 2,6 mètres au minimum, quand l’autre fait 1,4 mètres. Soit 27 millions de tonnes de charbon extractables », explique-t-il. Il se tourne vers le gouvernement, peine à finaliser le rachat, refait faillite en 2004. Mais entretient la mine à ses frais, allant jusqu’à empêcher qu’elle soit scellée, dans l’espoir d’un changement économique.

L’avenir lui donna raison. Le charbon produit encore plus d’un tiers de l’électricité en Angleterre, mais la majeure partie est importée de Russie, d’Afrique du sud, de Colombie. Avec la consommation en hausse des pays émergents, la Chine et l’Inde, les prix augmentent et le déficit commercial du pays atteint deux milliards de livres par an. Coincé entre sa dépendance au gaz russe et le renouvellement balbutiant de son parc nucléaire, il était évident que le marché anglais de l’électricité allait miser sur le charbon national pour diversifier ses approvisionnements.

En 2007, Richard Budge parvient à lever 110 millions de livres en bourse. Qu’importe s’il a choisi comme partenaire le russe Kuzbassrazrezugol, qui s’est empressé de revendre ses parts à une société offshore basée à Chypre… L’entrepreneur sait qu’il peut compter sur son meilleur atout : son permis de construire une nouvelle centrale de 900 MW, qui consommera 2.2 millions de tonnes de charbon et capturera 5 millions de tonnes de CO². Pourfendeur de l’éolien, la hausse du pétrole est son meilleur allié. Le réchauffement climatique, son paravent.

« Les gens disent que le charbon n’a pas d’avenir, notamment parce qu’il dégage le plus de gaz à effet de serre. Mais il a toujours été la moins chère, la plus sûre et la plus fiable source d’énergie. D’ailleurs, au mégawatt, le prix de l’électricité équivaut aux deux tiers de l’éolien. La solution, en fait, était simple : la capture du CO2. Aujourd’hui, il vaut mieux construire des centrales au charbon propre que de continuer à fonctionner sur les anciennes. Ma centrale au charbon propre, qui en plus fait du gaz de synthèse, le prouvera », justifie-t-il. La phase opérationnelle est lancée. Tout autour de la mine, de lourds camions arasent déjà les terrils pour construire, sur les vestiges du passé, cette centrale à 1,2 milliards de livres censée pérenniser l’ère du charbon et à terme, 2000 emplois.

Ça ou les poulets

Dans un district où 17% de la population bénéficie de l’aide sociale, où le vandalisme, l’alcoolisme et le vote extrême font des ravages, la réouverture de la mine est une bouffée d’air. « Beaucoup de gens demandent comment postuler, même si ici nous n’avons aucun contact avec la mine », affirme ainsi le bureau de l’emploi. « Il y a 20 ans, les 19 puits de Doncaster employaient 50 000 personnes, commente Martin Winter, le maire. Mais depuis leur fermeture, nous avons perdu les infrastructures sportives, rencontré des problèmes dans l’éducation, affronté une hausse de la criminalité. Des problèmes de santé parmi les mineurs sont restés sans réponse. Alors oui, j’espère qu’Hatfield va permettre de redynamiser la région. Bien sur, cela ne créera pas autant d’emplois, la mécanisation est passée par là, mais nous aurons un avantage comparatif important pour développer d’autres secteurs ».

Dans sa petite maison grise, la famille Saunders, a eu de la chance. Jack, le cadet, s’en est sorti. « Avant, j’allais travailler à l’usine d’emballage de poulets pour 15 000 livres par an. Au moins, à la mine, je gagne ma vie dignement. Et je peux évoluer dans mon métier. Je suis en apprentissage pour devenir creuseur et étayeur de tunnel. Je gagnerai alors 28 000 livres au lieu de 21000 », s’enthousiasme-t-il. Dans 10 ans, les jeunes prendront la relève des derniers anciens, qui ont 45 ans pour les plus jeunes d’entre eux… Celle d’Howard, le père.

A 50 ans passés, il retravaille pour le plus grand bonheur de sa femme, qui prévoit à nouveau de vacances. Malgré tout, les rêves de renaissance du NUM, le syndicat des mineurs, le laissent de marbre. « En 1984, lorsque nous faisions grève sans être payé, j’allais près du canal recueillir des scories de charbon pour nous chauffer, dit-il, devant l’album de ses souvenirs. Aujourd’hui, j’ai préféré continuer jusqu’à 65 ans. J’aurais pu toucher ma pension, mais elle aurait été lourdement taxée ». A Hatfield, les luttes appartiennent au passé. « J’ai commencé ici, en 1980, et jamais je n’aurai pensé pouvoir y revenir. On était 2000 à l’époque. Aujourd’hui, le travail a beaucoup changé, souligne-t-il. Avant on ramenait ce qu’on trouvait, maintenant nous devons remplir des missions et des objectifs de productions », admet Mike Shephard.

A 45 ans, « Shep », qui a remis la mine en ordre de marche, après trois mois passés à pomper l’eau, changer les câbles et étayer avec de nouvelles poutres, préfère savourer son retour. Pressé de remonter, il échange des blagues avec ses collègues dans la queue, face à l’ascenseur. Comme au bon vieux temps. Tous savent qu’ils sont des rescapés et mesurent la chance que d’autres, licenciés, parfois décédés d’une silicose, n’ont pas eu. « Prenez nous en photo, les mineurs ne meurent jamais », lance John Watson, 55 ans. Lui qui travaillait de mine en mine, jusqu’à leur fermeture dans son Ecosse natale, veut immortaliser l’instant. Il en veut une pour sa femme et une pour ses petits enfants…. Espérant, cette fois-ci, que l’heure de sa retraite ne sera plus dictée que par l’âge ou la géologie…

Encadré : Quand l’énergie fossile renaît de ses cendres

Il y a quelques années, aucun bookmaker anglais n’aurait parié sur lui… Et pourtant, la multiplication des projets de centrales signe le grand retour du charbon. En Allemagne par exemple, à Spremberg, une centrale électrique captant 90% du CO2 vient d’être inaugurée par le suédois Vattenfall, prolongeant la durée de vie des mines. Au Havre, l’entreprise Powéo étude la faisabilité d’une telle centrale. A Cossaye enfin, en Bourgogne, un projet similaire de la SEREN, associé à l’ouverture d’une mine, est en cours d’examen au ministère de l’Environnement et de l’Aménagement du territoire. L’exploitation du gisement, de 250 millions de tonnes, créerait 400 emplois dans une région en désindustrialisation. « Le grenelle de l’environnement a stoppé l’instruction du dossier. Mais si rien est fait avant le 2 juillet 2009, le silence vaudra rejet du projet », souligne le préfet de la Nièvre, Gilbert Payet.

Par ailleurs, avec la hausse du prix des hydrocarbures, de plus en plus de gouvernements sont tentés par la conversion du charbon en carburant, grâce au procédé Fischer-Tropsch. « Pour les pays avec d’importantes réserves, comme la Chine, c’est un moyen d’assurer leur sécurité énergétique, explique Yuichiro Shimura, chercheur à l’institut de recherche Mitsubishi (MRI) de Tokyo. Mais il nécessite une immense quantité d’énergie pour la liquéfaction du charbon. Sans compter la consommation d’eau ».

A Hatfield, on alliera finalement les deux technologies. « Grâce au procédé de Shell, nous allons produire de l’électricité à partir du charbon, mais aussi du gaz de synthèse. Toutes les entreprises de la région et les bus fonctionneront alors à moindre coût », vante le directeur de Powerfuel, Richard Budge. Quant au CO², il sera capté, liquéfié et envoyé sous pression par pipeline dans les champs d’hydrocarbures de la mer du Nord, prolongeant ainsi le rendement des puits. Cette combinaison de technologies n’a jamais été essayée auparavant, mais déjà, des organisations écologistes comme Greenpeace s’insurgent contre de tels procédés qui perpétuent l’ère des énergies fossiles sans privilégier les énergies renouvelables.

Sources :

Actualités : Le Monde (sept. et oct. 2006)