Le monde de la mine : sociologie, sociologues et disciplines des sciences sociales

Olivier Kourchid
Introduction : quelques titres significatifs
Vouloir trai ter de façon exhaus tive les croisemen ts des théma tiques
minières et la sociologie conduirait à une liste colossale de titres, surtout si
l’on y associe les travaux d’ethnologie, ceux de psychologie et d’ergonomie,
dont la caractéristique commune est l’appréhension directe des données par
ce que l’on appelle encore l’enquête de terrain, et en l’occurrence de sousterrain. Ainsi on devrait citer, seulement à titre d’exemple, car la liste est
longue :
Barbichon (G.) et Moscovici (Serge) : «Modernisation des mines, conversion
des mineurs», Revue Française du Travail, 16ème année, n˚ 3 juillet-Septembre
1962, issue de financements CECA, et que l’on peut apparenter à l’école
anglaise d’études sur l’organisation du travail (Emery and Trist par exemple,
ou E.L. Trist Composite cutting longwalls, Tavistock Institute, London 1957) :
Barbichon et Moscovici démontrent que la résistance à la modernisation est
plus grande dans les bassins où elle est en cours par rapport à ceux où elle est
achevée. «Les mineurs qui perçoivent davantage les conflits d’origine politique
et syndicale sont peu intégrés au milieu ouvrier, et sont extérieurs aux
transformations en cours…; ceux qui mettent l’accent sur les rivalités
professionnelles (travail, rendement, salaire, statut) sont plus impliqués dans
les transformations en cours» (cité par Touraine, 1963, p. 260)
Beynon (Hugh) : «Authority and change in the coalfields», Journal of Law
and Society, Oxford, vol 12, n˚ 3, p 395-403
Church (R.), Outram (Q.) Smith (D.N.) «The ‘isolated mass’ revisited ;
strikes in British coal industry», Sociological review, vol. 39, n˚ 1, 1991, p.55-87,
à comparer à un des classiques du genre, le travail de Kerr et Siegel sur la
comparaison entre branches industrielles de la propension à la grève.
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Convert (B.) et Pinet (Michel) L’art d’accomoder les restes : conversion
économique et changement social dans le bassin minier Nord Pas de Calais, thèse de
3ème cycle, EHESS, 1982.
Cornu (Roger) Mineurs cévenols et provencaux face à la crise des charbonnages,
CNRS-LEST, 1975.
Dubar (Claude), Gayot (Gérard), Hédoux (Jacques) : « Sociabilité minière
et changement social à Sallaumines et à Noyelles sous Lens, 1900 1980», Revue
du Nord, tome 64, n˚ 253, avril-juin 1982, p. 365.
Eckert (Cornelia), Une ville autrefois minière, la Grand’Combe, thèse
d’anthropologie sociale, 3 tomes, Université Paris V René Descartes, 1992, 3
volumes.
Engrand (Gérard) et alii : «Des vivants, des malades et des morts», quotidienneté
ouvrière et mode de mobilisation et de gestion de la main d’oeuvre, Centre d’Analyse
et de développement, Cité scientifique, Villeneuve d’Ascq, vers 1975.
Faidutti (A.M.) «Les mineurs algériens cévenols et le devenir de leurs
enfants», Hommes et terres du Nord, Hors série, Migrations internes et externes
en Europe occidentale, colloque, 12-14 octobre 1980.
Fitzpatrick (J.S.) «Adapting for danger. A participant observation study of
underground mine», Sociology of Work and occupation.
Goldhorpe (John) «La conception des conflits du travail dans
l’enseignement des relations humaines : le cas de houillères britanniques»,
Sociologie du travail, n˚ 1; janvier-mars 1981.
Gouldner (Alvin), Wildcat strike, a study in worker-management relationship
Harper and Row, 1954-1965, il est vrai sur les mines de gypse.
Heuzé (Gérard) Ouvriers d’un autre monde, l’exemple des travailleurs de la
mine en Inde contemporaine, Editions MSH, Paris, 1989.
Kourchid (Olivier) Production et travail dans une industrie stratégique :
sociologie, histoire, archéologie du monde de la mine, 2 tomes, thèse d’Etat, 1993,
Université Paris VII.
Lazar (Marc) PCF, intellectuels et classe ouvrière : l’exemple du mineur de la
Libération aux années 1950, thèse EHESS, 1984.
Malva (Constant), Ma nuit au jour le jour (1937), réédité par Bruno Mattéi,
1978.
Molinari (J.P.) Les ouvriers communistes, sociologie de l’adhésion ouvrière au
PCF, Thonon les Bains, l’ALbaron, 1991.
Roth (Catherine), Bois de mine, ethnographie d’un chantier d’abattage dans
les mines de charbon en Lorraine, Editions Pierron, DRAC, CCSTI Lorraine,
1997.
Trempé (Rolande), Les mineurs de Carmaux, Editions ouvrières, 1971.
Valdour (Jean), Les mineurs, observations vécues, 1919.
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Le Colloque de Lille : Charbon et Sciences humaines
Un des monuments sur la question demeure cependant le Colloque Charbon
et Sciences Humaines, tenu à Lille en mai 1963, et publié sous la direction de
Louis Trénard, aux Presses de l’EPHE, Sorbonne, Mouton, 1966 ; cet ouvrage,
fruit d ‘une grande opération concertée entre université, région, et industrie,
demeure un monument historique au plein sens du terme, car il reflète sans
doute l’équilibre des disciplines, mais également des orientations typiques
de l’époque.
La partie I «Charbon et croissance économique et sociale», consacrée à
l’histoire économique et sociale, introduite par une contribution de Marcel
Gillet (auteur des Charbonnages du Nord de la France du XVIIIème siècle à 1914)
recouvre les deux tiers du texte, et traite des XVIIIème et XIXème siècle,
essentiellement en France et dans quelques pays charbonniers européens.
La partie II «Présent et avenir du charbon» se divise en 3 sections : section
2, Charbon, géographie et démographie (Jacqueline Beaujeu-Garnier, Charbon
et population␣ ; André Gamblin, le charbon et la localisation des industries␣ ;
Pierre Bruyelle, Charbon et urbanisation en Europe du Nord-Ouest). Section
3, Charbon, économie et prospective (Jacques Walch, directeur délégué des
HBNPC, rapport sur la question de l’économie et de l’avenir␣ ; Jean Doise, le
charbon dans l’économie française Rhénane␣ ; Pierre Bauchet, professeur de
droit, les charbonnages nationalisés).
Mais la section 1 est intitulée «Charbon et sociologie» ; elle comprend les
contributions de : Alain Touraine (l’évolution de la conscience et de l’action
ouvrière dans les charbonnages)␣ ; Yves Marie Hilaire, (Remarques sur la
pratique religieuse dans le bassin houiller du Pas de Calais, dans la deuxième
moitié du XIXème siècle)␣ ; les docteurs Amoudru et Nadiras(la médecine du
travail dans les houillères du bassin du Nord et du Pas de Calais)␣ ; M. Henri
Roussel (le parler du mineur).
C’est dire que dans cette section dite de «sociologie» figurent les
contributions d’un historien des mentalités, de deux médecins d’entreprise,
d’un spécialiste des patois, et d’un sociologue (Touraine), venu de l’histoire.
Le «parler du mineur» (Touraine se fera reprendre en évoquant lui aussi
«l e mineur») est essentiellement celui des conversations de surface, à
l’exception des rituelles interrogations sur l’origine de «␣ galibot␣ » et de
«␣ porion␣ » ; mais rien n’est dit des langages du fond, où se mêlent les
techniques et l’immigration.
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Côté médical, les médecins des houillères expliquent les multiples aspects
de l’exceptionalisme minier : première reconnaissance d’une maladie
professionnelle en 1911, avec l’ankylostomiase, mise en place de la médecine
du travail avant l’obligation légale du 11 octobre 1946, de sorte que les moyens
considérables sont peu à peu réunis pour faire face à l’immensité de la
population (200 000 actifs au «pic» pour les HBNPC, 300 000 pour les houillères
françaises), avec création de centres spécialisés, d’une revue (la Revue médicale
minière), et d’autre moyens concernant le suivi et l’adéquation des individus
et des postes; si la silicose est abordée, c’est pour dire que certes c’est
dramatique, mais que tous les moyens sont mis en oeuvre pour capter,
mesurer, et abaisser les poussières.
On peut citer ce commentaire de Louis Trénard à la fin de l’intervention
des médecins des houillères : «␣ Vous nous avez indiqué, avec des chiffres
éloquents, l’ampleur des résultats obtenus dans la purification de l’atmosphère
et dans la diminution des accidents du travail ; au total, nous sentons que
votre tâche de médecin s’apparente un peu à la nôtre, spécialistes des sciences
humaines, parce que vous aussi vous songez à ces conditions psychologiques,
à cette insuffisance qui se révèle parfois dans la psychologie de la main
d’oeuvre. Et je souhaite qu’entre les Houillères du Nord et du Pas de Calais,
entre les centres médico-sociaux et notre jeune Institut de Sociologie de la
Faculté des Lettres, des liaisons s’établissent␣ ».
Yves-Marie Hilaire livre une analyse complexe et bien documentée sur —
déjà— la perte d’influence de l’Eglise catholique en bassin minier, associée à
la propagande anticléricale et au développent du mouvement socialiste, alors
que le patronat est stratégique pour l’influence inverse, christianisation ou
frein à la déchristianisation, et la consolidation de cette notion multiple qu’est
le paternalisme.
L’enquête évoquée par Touraine sur les ouvriers a porté sur 2029 personnes
dont 250 mineurs choisis au hasard dans six bassins. On sait qu’elle aura pour
suite l’enquête franco-chilienne sur les sidérurgistes de Huachipato et Lota
au Chili. Globalement, Touraine propose une évolution productive où le couple
métier-marché (associé au rapport intégration/exclusion et au rapport ouvrier
privilégié/ouvrier menacé) est remplacé par le couple rationalisationpolitique, avec volonté d’emprise des groupes sociaux sur la rationalisation.
Les mineurs sont dans une situation paradoxale, se situant comme groupe
ouvrier traditionnel «placé devant les problème socio-économiques de type
nouveau»
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Trois domaines sont étudiés :

  • La conscience ouvrière des mineurs, comme sentiment d’appartenir à un
    autre monde, hors des schémas habituels de l’organisation «ils ne se
    considèrent pas en bas de l’échelle sociale, mais hors de la société» ; l’évolution
    personnelle ne passe pas par la promotion sociale, mais par l’évolution vers
    les emplois individuels (petit commerce) ; déconnexion entre salaires et valeur
    économique du travail, rémunération et connaissance technique du système
    productif : d’où l’association entre la défense professionnelle et une opposition
    au système d’organisation ; mais les conflits —plus que professionnels et
    impliquant les populations— dénotent une conscience de classe plus
    ouvriériste que prolétarienne, et une vision des rapports de classe parasitée
    par une vision de la dichotomie dans la société (riches inutiles/producteurs
    démunis) et pas clairement organisée autour des rapports de production.
  • Les attitudes à l’égard du changement : Touraine part du principe qu’il y
    a eu mutation globale du système de travail, depuis l’autonomie de l’exécution,
    vers l’organisation technique où le collectif domine l’individuel, puis vers
    l’automatisation (d’où la désorganisation des formes traditionnelles, la
    réaction au changement, et la formation de nouvelles attitudes sociales ; les
    nationalisations (rappel de Barbichon et Moscovoci) sont vues comme
    bureaucratisation plus que modernisation.
  • Les effets sociaux du décalage entre le travail ouvrier et le système de
    décisions socio-économiques.
    Notons que les parfums de l’intervention sociologique caressent déjà les
    narines d’Alain Touraine. A la question posée par une assistante (au colloque)
    de savoir si «les sociologues se sont déjà intéressés à l’étude des conflits de
    Decazeville» (en 1962, qui annoncent la grande grève de 1963 avec échec de la
    réquisition de mineurs par de Gaulle), Touraine répond que le conflit lui-même
    n’a pas été étudié (sauf dit-il par des «études socio-journalistiques») et pose
    la question suivante : «␣ En somme faut-il ou ne faut-il pas suivre l’actualité␣ ?»␣ ;
    «Faut-il ou ne faut-il pas avoir des équipes volantes d’intervention ?» et il
    ajoute «Ceci est relativement difficile. On ne peut pas appeler les pompiers à
    la veille de l’incendie».
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    Remarques sur de cette version de la sociologie
    Certes on ne peut en vouloir aux organisateurs d’avoir réuni sous une
    étiquette «sociologique» un ensemble finalement disparate. Sans aucun doute,
    le travail de Hilaire sur les pratiques religieuses dans le Pas de Calais est le
    plus cohérent : l’enjeu de la christianisation/déchristianisation est situé
    clairement au carrefour des orientations patronales, politiques, et ouvrières
    de la société minière. La discussion des médecins des houillères fait l’impasse
    sur les conséquences réelles de la silicose, qui continue de tuer entre 500 et
    800 mineurs par an dans le bassin minier, pour ne souligner que les nombreux
    dispositifs de prévention ; d’ailleurs les recherches financées largement par
    la CECA et les charbonnages ont conduit à d’innombrables analyses et
    expérimentations sur les tissus pulmonaires et la biologie animale, mais
    beaucoup moins sur l’épidémiologie dans la profession minière ; la
    contribution ne mentionne pas non plus que la silicose a été reconnue maladie
    professionnelle en France en 1945, longtemps après l’Afrique du Sud, et que
    le tableau des maladies professionnelles de la Sécurité Sociale comprend près
    de 30 maladies reconnues qui touchent les mineurs de toutes les substances
    (dont les cancers par exposition à l’uranium ou à l’amiante, et sans doute aussi
    aux poussières de charbon).
    Quant à la présentation tourainienne, elle est certes dans l’air du temps,
    c’est à dire propose une structuration de la conscience et de l’action en quelque
    sorte post-marxiste, qui complexifie quelque peu les rapports de classe ; elle
    est cependant envahie par une vision transitionnelle des dispositifs productifs
    (les phases A, B, C), qui tend à sous-estimer les capacités d’accumulation des
    modes d’organisation et des métiers dans les grands systèmes techniques.
    Alors que effectivement la récession est en cours et qu’on approche des
    premiers plans de restructuration, puisque 1962 est pratiquement l’apogée de
    la production charbonnière, Touraine ne dispose que de 250 questionnaires
    de mineurs sur 6 bassins ; or :
  • les charbonnages de France sont en pleine restructuration de
    modernisation intensive avec les sièges de concentration␣ ;
  • l’exploitation de la houille par rabot, haveuse, soutènement hydraulique
    marchand introduit l’électrification intensive et de grande puissance des
    chantiers du fond, créant une quantité énorme de nouvelles qualifications
    techniciennes sur l’alimentation électrique, les contrôles, les télémesures, les
    télévigiles, destinées à accroître la sécurité des chantiers, tout en augmentant
    la productivité, alors que les exploitations vont vers des profondeurs de plus
    57
    en plus grandes, confrontant de nouvelles contraintes : dégagement instantané
    de grisou, coups de terrain␣ ;
  • la modernisation et la récession programmée ne peuvent se faire sans
    l’immigration, massive, de marocains, qui acquièrent toutes les compétences
    de base des mineurs, y compris celles d’être les derniers mineurs de métier à
    des postes clés : le creusement des «niches» destinées à permettre l’installation
    de la tête motrice des rabots et des blindés ne peut se faire sans une équipe de
    deux mineurs, avec marteau piqueur, pic et pelle, qui boise artisanalement
    son espace, exactement comme au tournant du siècle, sauf qu’ils sont payés
    par le système à points Bedeaux expérimenté dès 1923 par l’ingénieur dans
    les mines de Sicile␣ ;
  • la conflictualité est omniprésente dans la mine, même si les conflits de
    grande extension et de grande durée appartiennent à une époque ancienne
    (la grève de 1963 est la dernière grève mythique en France, mais il y en aura
    d’autres aussi mythiques ensuite, contre les fermetures, ou pour le statut du
    mineur aux marocains, en 1980).
    Ces remarques faites, il faut maintenant essayer de faire le point sur ce
    qu’a pu être une démarche multiple de sociologue à propos du monde de la
    mine, démarche dont la motivation relève de deux dimensions : une demande
    de recherche fondamentale d’origine étatique (les contrats CNRS PIRTTEM
    des années 1980-85, relayés par les contrats de plan Etat-Région à l’IFRESICNRS) ; et une demande de recherche complémentaire, dérivée, —sans doute
    impossible à réaliser sans la première— d’origine scientifique ou d’origine
    militante, sociale et culturelle. Nous nous excusons de ces références un peu
    personnelles, qui ont l’avantage d’être connues de près.
    Les programmes et l’interdisciplinarité : sociologie, histoire,
    politique
    Rappelons que le regain d’intérêt pour les industries lourdes, et leurs
    constructions sociales, techniques et économiques, (et moins politiques), a
    deux origines : d’une part les mouvements sociaux importants qui se sont
    situés dans les années 1977-80 dans les grandes industries, particulièrement
    la sidérurgie qui recevait de plein fouet les vagues de restructuration issues
    de la concurrence internationale (la mondialisation, comme on disait), des
    restructurations européennes, et des ajustements drastiques nationaux. Ces
    58
    mouvements sociaux n’ont pas été étrangers à la victoire de la gauche en mai
    1981, laquelle a conduit aux nationalisations de grands secteurs économiques,
    et à la relance charbonnière: alors que l’objectif était une récession programmée
    vers 1985-90, on assistait à de nouveaux objectifs (retrouver un niveau de 30
    millions de tonnes), associé à des embauches et des recherches de productivité.
    Les incitations à la recherche en sciences sociales sur ces objets industriels
    sont venues d’abord de l’Action Thématique Programmée (ATP) Travail
    Emploi, qui s’est consolidée par un programme CNRS PIRTTEM (Programme
    interdisciplinaire sur les technologies, le travail, l’emploi et les modes de vie,
    avec Yves Duroux). En même temps, dans les années 1985, s’est mis en place
    un Groupe de recherches concertées (GRECO), devenu Groupe de Recherche
    (GDR) intitulé «Travail et travailleurs aux XIXème et XXème siècles» animé
    par M. Rebérioux, Antoine Prost, Rolande Trempé (historiens), Michel Verret
    et O. Kourchid (sociologie), Françoise Cribier (géographie). Cet ensemble avait
    un «groupe mines» évidemmen t animé par Rolande Trempé. Ce groupe
    «Mines» comprend des historiens, des sociologues, des ethnologues, des
    archivistes d’entreprises minières (A. Kuhnmunch), et aussi —ce qui est
    fondamental— des «passionnés» du monde de la mine, conservateurs du
    patrimoine, sauveteurs d’installations, collectionneurs, militants syndicaux
    et politiques, dont l’objectif commun est que d’une façon ou d’une autre «vive
    la mine». Inscrits dans les années 1987-90 dans les programmes de l’IFRESI,
    ces actions de recherche et de valorisation portent essentiellement sur le bassin
    minier Nord Pas de Calais, mais les instances d’animation scientifique
    permettent des contacts dans toute la France, et dans beaucoup de disciplines.
    Les ministères de la recherche, de la culture, sont impliqués, de façon plus
    systématique que le ministère des enseignements supérieurs. Soulignons que
    les contrats de plan Etat-Région (CNRS-IFRESI-Universités) ont bien voulu
    inscrire régulièrement la thématique des industries stratégiques et surtout
    minières dans leurs financements annuels, ce qui a permis de définir des lignes
    de travaux pluridisciplinaires et collectives à partir d’initiatives à base
    sociologique.
    On voit bien que le souci général connecte l’interdisciplinarité et la
    valorisation. Il est certain que notre premier programme (1982-1985) consistait
    à étudier l’établissement des Houillères du Bassin du Nord et du Pas de Calais
    du point de vue des procès de travail de la période de la bataille du charbon,
    jusqu’à celle des fermetures. Motivé bien sûr par la tradition sociologique
    weberienne et marxiste, plus que durkheimienne (qui a peu prêté attention
    aux industries et aux techniques —parti pris qui n’est pas incongru par rapport
    à ce que l’on voit de la sociologie contemporaine), motivé par les lectures
    historiques sur les périodes transitionnelles, les ruptures, les «scansions» (et
    59
    les multiples travaux d’Etienne Dejonghe ou d’Henri Rousso), il semblait
    évident de partir d’une période antérieure, qui associait le dirigisme étatique
    à la continuation de l’entreprise minière capitaliste privée : l’Occupation,
    comme on dit ici, ou Vichy, comme on dit plus généralement. Nous avons
    donc choisi de traiter des Houillères entre 1940 et 1944, (Production Industrielle
    et Travail sous l’Occupation, les mines de Lens et les mineurs, 1940-1944 tome I,
    puis Statuts, mobilisation, et reproduction de la main d’oeuvre aux Mines de Lens,
    tome II) pour attacher —sociologiquement— beaucoup d’importance au
    leadership personnalisé, organisant l’industrie, et s’organisant lui-même au
    sein du Comité des Houillères (COH), devenu le Comité d’Organisation des
    Industries et des Combustibles Minéraux Solides (COICMS). C’est un parti
    pris qui associe plus la politique et la politique industrielle, que l’économie
    et les techniques ; il est vrai que, entre 1940 et 1944, c’est —pour la zone
    interdite— l’économie de guerre administrée par Bruxelles et Berlin, alors que
    les techniques sont réduites à une stagnation et une usure forcées. Reste une
    ressource : c’est le travail forcé, c’est à dire le travail humain intensifié par la
    rationalisation organisationnelle et scientifique du travail (l’OST). Nous avons
    ainsi démontré qu’il existait un continuum entre la rationalisation des salaires
    à la tâche (Bedeaux), la rationalisation des transports, et celle mise en place
    par les groupes dirigeants technocrates. C’est pourquoi nous avons proposé
    une terminologie propre à la période, celle des «groupes rationalisateurs»,
    dont la fonction ne peut se comprendre que dans le contexte plus large de
    collaboration. Rationalisation s’interprète alors sous deux acceptions clés : la
    méthodisation des processus de production et d’exploitation (OST, rapport
    encadré au politique) ; et au sens analytique d’intériorisation des contraintes.
    Nous pensons qu’il y a encore à chercher sur le rapport collaboration/
    rationalisations, y compris dans les ensembles et sous-ensembles productifs
    contemporains, inscrits dans une hiérarchie nationale ou internationale
    d’hégémonies.
    Ce constat nous a semble plus riche que celui étudié également à travers
    la Charte du Travail, opération politique où le secteur minier a été en pointe
    (inauguration du premier Comité social régional de la Charte par le
    collaborationniste Déat en mars 1944 à Lens). Car la Libération, l’épuration,
    la bataille du charbon, la restructuration des nationalisations démontrent
    certes l’inversion des pouvoirs politiques avec le gouvernement tri partite,
    mais aussi l’existence d’un certain continuum de leadership. Le renouveau
    intervenant surtout avec les lois générales de nationalisation des houillères
    du début 1946 (un établissement central CDF et des houillères de bassin, tous
    EPICS).
    60
    C’est dans ce contexte qu’a été réalisée une enquête sociologique et
    historique (avec Anne Dassonville et Fabrice Pacholski) sur les mineurs de
    Lens sous l’occupation, nés en 1920, et interviewés en 1984-85. Questions
    politiques et sociologiques sur les biographies et l’occupation, mais avec
    beaucoup plus de résultats sur la vie de travail, ou l’économie de subsistance
    (alimentation, équipements) que sur la vie politique, comme on peut s’y
    attendre d’une histoire commune et ordinaire, qui n’est pas monumentalisée
    par les rappels et les structurations postérieures militantes.
    Enfin, sur ce thème, a été réalisée l’étude des HBNPC à travers les Procès
    Verbaux de Conseils d’Administration, de 1944 à 1952, qui correspond à la
    mise en place des structures, des financements, du personnel et des dirigeants,
    des équipements et des investissements.
    Peut-on dire qu’il existe une lecture sociologique de l’histoire et plus
    précisément de l’archive ? Sans aucun doute. D’une part nous considérons
    que toute trace accumulée, dont l’existence est concrètement vérifiable dans
    l’archive, résulte d’un processus lui-même sociologique et politique de
    sélection. Demandons-nous si un sociologue et un (ou une archiviste) sont
    d’accord sur ce qu’il faut conserver d’un ensemble «E» d’archives isolable et
    disponible à un temps «T» ? Certainement pas : le premier se voudra aussi
    exhaustif que possible pour disposer cette trame de causalité la plus fine,
    capable de réduire l’interstice entre le déterminant et le déterminé ; le second
    établira des fonds hiérarchisés, entre l’«␣ intéressant␣ » et le secondaire,
    l’original et la copie, le première main et le secondaire, qui tiennent compte
    d’une monumentalisation historique de la trace. La question est —
    généralement, mais pas toujours— plus alors : «que voudra l’historien du
    futur» que «en quoi ce papier témoigne de la vie passée».
    Il n’empêche que sociologues et historiens se rejoignent évidemment sur
    la question du témoignage, recueilli, enregistré, mais pas toujours utilisé de
    la même façon : classiquement les historiens souhaiteront vérifier un fait, une
    antériorité ou une postériorité, (le «témoin privilégié» étant en général bien
    rôdé aux réponses), un enchaînement de facteurs ; les sociologues laissant le
    discours se faire dans le sens de la production d’un sens rationnalisateur (aux
    acceptions précisées plus haut) commun aux acteurs de différents niveaux
    dans la hiérarchie ou l’hégémonie.
    C’est justement l’hypothèse de la hiérarchisation des hégémonies des
    dispositifs productifs qui nous a conduit à proposer une lecture intégrée des
    pouvoirs politiques et technocratiques dans la période 1940-48 («Unions,
    61
    Politics and Technocracy in the French Northern Coalfields»), et qui propose une
    lecture intégrée des relations entre l’organisation large de la production
    (concession, gisements, techniques, main d’oeuvre, électorat), et les
    représentations technocratiques ou politiques aux étages de décision (CO,
    conseils, CE). Ce débat entre Lens et Oignies, rejoint celui d’autres oppositions
    (Auchel et Bruay), ou mieux encore Sallaumines-Noyelles (Dubar et alii).
    La participation du sociologue aux initiatives historiques a ensuite été
    largement conditionnée par la demande «sociale» ou «universitaire», et par
    sa participation à la création de l’Institut d’Histoire Sociale Minière, l’un des
    premiers, sinon le premier en France, de ce type dans l’environnement
    industriel syndical.
    Le colloque «Arras 1891-1991, 100 ans de conventions collectives», où ont
    communiqué historiens, sociologues, économistes, juristes, et où a été souligné
    d’un côté le rôle anticipateur des mines dans la mise en place d’accords
    collectifs, et l’ambigüité de la notion de «statut du mineur» dans les phases
    postérieures à l’exploitation. (Revue du Nord)␣ : innovation et exemplarité des
    relations au social : les mines françaises et les mineurs, au XIXème siècle (avec
    Françoise Fortunet et Rolande Trempé, l’Etat à l’épreuve du social)␣ ;
  • la régulation des conflits dans l’industrie houillère, comparaison
    internationale, syndicale et patronale (colloque la loi de 1892)␣ ;
  • la remise en cause des acquis de 36 et la réintroduction du système
    Bedeaux en mars 1941 sous l’occupation (qui ajoute une hypothèse sur la
    rationalisation forcée du travail, à celles sur l’anticipation par les communistes
    de la lutte anti-nazie avant Barbarossa du 21 juin 1941)␣ ;
  • une société de secours minière du Nord Pas de Calais, après 1945 (1995,
    l’un des nombreux cinquantenaires, texte qui traite entre autres des marges
    de manoeuvre des administrateurs des caisses de secours dans le traitement
    des cas exceptionnels)
  • les batailles du charbon, la place des discours dans les chronologies
    politiques (Colloque 50ème anniversaire des nationalisations, où est mis en
    évidence le fait que les discours communistes sont beaucoup plus porteurs
    d’un contenu technique et de métier que celui des socialistes à la même
    période)␣ ;
  • les mineurs et mai 1968 (Exploration du mai Français, 1992)␣ ;
  • silicose, insuffisance respiratoire, soins et temporalités (colloque de
    Lewarde, 1996, qui met en évidence la qualité des nouveaux travaux médicaux,
    dans l’épidémiologie et l’assistance)␣ ;
    62
  • les statues de Ste-Barbe comme objets techniques (Ste Barbe, tradition et
    luttes des mineurs, IHSM, 1997)␣ ;
  • l’immigration polonaise : travaux historiques, questions sociologiques
    en cours (Bochum, 1999)␣ ;
  • l’immigration et le syndicalisme : d’après Droit minier et d’après un
    témoignage patronal (Lens, 2000, la semaine dernière), de la prise en compte
    des «travailleurs étrangers» en 1945 à la grève des marocains de 1980 et 1987␣ ;
  • ajoutons deux synthèses sur l’énergie charbonnière dans le monde
    (quelques siècles sur 5 continents, où est évoqué —quand même, l’existence
    de conflits du travail dans cette branche—), et en France, où est rappelé le
    rôle historique particulier de ce pays : producteur de taille moyenne en 1913,
    mais au quatrième rang après les USA, l’Angleterre, l’Allemagne, c’est aussi
    un gros importateur (1/3 des 80 millions de tonnes nécessaires aux besoins).
    De cela on relèvera que les sollicitations militantes de «commémoration»
    demeurent un élément majeur de demande de recherche. Il est vrai qu’en
    l’absence d’une institution patronale, mais le plus souvent paritaire de
    recherche en sciences sociales comme c’est le cas pour le Ministère de
    l’Industrie, EDF-GDF, la SNCF, l’automobile, l’aéronautique, la Défense, la
    Marine, CDF est resté discret, sans doute à cause du regard attentif de l’Etat
    sur les dépenses de l’établissement.
    Il est certain aussi, que l’approche d’un sociologue autorise l’évocation
    des facteurs politiques et sociaux, alors que les économistes sériels de la longue
    durée traitent de préférence les données comparatives. Actuellement en France
    les historiens produisent des travaux très significatifs sur les bassins, mais
    les grandes synthèses économiques, politiques, techniques et sociales, sont à
    venir ; il faut souligner l’abondance de la production des «passionnés»
    extrêmement significative du point de vue sociologique, d’un côté en raison
    de l’émergence de courants différenciés de culture et de mémoire collective ;
    de l’autre, en raison des mobilisations que ces courants induisent en matière
    de mémoire industrielle. Or, comme on le sait, ni la technique, ni l’industrie,
    ni peut-être le travail et ses mobilisations n’ont acquis le statut scientifique et
    culturel comparable à celui observable d’autres pays.
    63
    Sociologie, production, techniques, mémoires et archéologie du
    travail
    Le contrat PIRTTEM-CNRS ne se limitait pas à l’appréhension des
    transformations des dispositifs stratégiques ; une coopération empirique
    sociologue-historiens (A. Kuhnmunch et M. Dreyfus) s’est établie lors de
    l’archivage de fonds industriels de la société des Mines de Lens, devenue
    Groupe de Lens aux nationalisations ; les travaux en cours sur des sites miniers
    actifs ont sans doute infléchi certains choix de conservation, en ne négligeant
    pas les archives de base (carnets d’agents de maîtrise, modes opératoires, notes
    de service techniques), certes austères et difficiles à décoder, mais témoins de
    la quotidienneté du travail et de ses accidents.
    C’est encore l’interdisciplinarité qui a permis la réalisation —sur initiative
    sociologique— de l’ouvrage Mines et Cités Minières (400 photos aériennes de
    1920 à 1990, avec A. Kuhnmunch et André Deswarte). L’analyse de la démarche
    est intéressante, puisque la curiosité sociologique (comment retrouver les
    fonds de photos aériennes dont quelques clichés apparaissaient sur des
    documents d’entreprise HBNPC dans les années 1968) a bénéficié d’une
    convergence de facteurs exceptionnelle : volonté d’inventaire des sièges,
    carreaux, ateliers, installations, terrils par l’établissement HBNPC et (ensuite
    CDF) dans les années 1948-65 ; recherche de ce genre de documents par
    l’Institut Géographique National, service photographique (qu’il soit remercié
    encore une fois) ; dépôt du fonds (10 000 négatifs) par la veuve de M.
    DURANDAUD à l’IGN en 1987 ; et surtout tri, repérage et classement
    informatique des clichés par commune par l’IGN. Le plus difficile était fait
    avec de gros moyens. La sélection, la documentation, l’organisation de
    l’ouvrage était à notre portée, encore que chaque vue pouvait justifier une
    thèse, puisque c’était le témoignage apparent de la structuration du monde
    souterrain, vue par une transfiguration aérienne. De cela il ressort que la
    photographie aérienne industrielle et non purement esthétisante, généralement
    initiée par l’entreprise, se situe directement dans la tradition wébérienne de
    la domination : successeur des plans reliefs (arme secrète de Louis XIV),
    prenant appui sur un point de vue élevé, technique exceptionnelle (avions et
    prise de vue), emprise visuelle, et inventaire des propriétés, domination par
    la réduction selon Bachelard, ces images deviennent un objet de pouvoir pour
    le pouvoir. Quoi de plus naturel que de les rendre publiques, à travers des
    expositions et des publications ; un financement spécial de l’ACHM de
    Lewarde a permis la chose, les anciens retrouvant leurs lieux dans ces vues
    en perspective oblique.
    64
    Surtout, nous avons à cette occasion côtoyé et interviewé quelques
    personnages de la sociologie, de l’ethnologie (Paul-Henri Chombard de Lauwe,
    qui avait publié plusieurs ouvrages remarquables illustrés et théoriques sur
    les vues aériennes), ou de l’archéologie, avec Roger Agache (CNRS), l’un des
    spécialistes mondiaux de l’archéologie aérienne par détection hivernale.
    Ainsi s’est confirmée l’idée répandue, mais pas assez appliquée, que la
    sociologie devait être partie prenante d’une archéologie. Mais quelle
    archéologie ? Certes celle des savoirs, ou du savoir, mais aussi celle de la
    constitution de traces en matière de travail et de techniques minières, celle
    que l’on entend par l’archéologie industrielle, parente du patrimoine
    industriel. De sorte que la mise en oeuvre d’une démarche archéologique ou
    patrimoniale à travers la sociologie nécessite une entrée en matière, là où la
    volonté de découverte —paradoxalement— s’associe à la constitution et à la
    conservation du gisement.
    C’est encore le contrat PIRTTEM, et ses suites à travers les financements
    Contrat de Plan-Etat-Région CNRS IFRESI, qui a permis le chantier d’études
    sur les procès de production et de travail au fond et au jour dans le dernier
    site minier en activité du Nord Pas de Calais (Fabienne Bâcle Giard, Nordinne
    Dris, Emile Dubois ont participé à l’enquête). Il est apparu que les dernières
    poches de modernisation à combler concernaient les transports de personnel,
    où des gains de temps appréciables étaient encore possible, mais surtout il
    était évident pour les mineurs, et a fortiori en fin de parcours de production,
    que la sécurité générale et pas seulement la sécurité au travail, était le câble
    conducteur de toute philosophie historique en matière de mines.
    La sécurité industrielle minière, et les sécurités industrielles en général
    dans l’énergie et les transports, ont donc été le thème fédérateur de plusieurs
    opérations de valorisation : la participation au classement du site 9-9bis-10,
    monument historique ; la définition d’une thématique transdisciplinaire de
    valorisation et de recherche sur les sécurités industrielles, requise par le
    ministère de la culture pour consolider le projet de classement ; l’organisation
    de colloques sur ces questions (le freinage, les travaux en milieux extrêmes ;
    le contrôle des énergies et les sécurités industrielles, intégrant les domaines
    suivants : mines, nucléaire, pétrole, transports terrestres, maritimes, aériens,
    travaux souterrains, sous-marins, dans l’espaces, dans les situations polaires)␣ ;
    mais à ces conditions exceptionnelles la mine en ajoute une autre : le
    gigantesque, qui pose comme on l’imagine des questions paradoxales aux
    possibilités de survie, car c’est énorme, et de destruction, car c’est fragile.
    65
    Question que nous avons traitée, ainsi que celle du rapport entre temps
    géologique et temps biologique, dans l’espace-temps de la production.
    Ont été associées à ces travaux d’autres recherches portant sur les
    initiatives de conservation et de valorisation des patrimoines miniers, ces
    fameux «musées de la mine», dont une trentaine existent dans le Nord Pas de
    Calais, et dont une centaine au moins vivent ou vivotent en France. Quoi de
    plus sociologique que la mobilisation régionale et locale en faveur de la
    conservation de cette culture industrielle ? Et quoi de plus insultant pour les
    acteurs de terrain que d’entendre dire comme trop souvent : «Des musées de
    la mine, il y en a trop ; un seul suffit». N’est-ce pas une forme de mobilisation
    politique que de recenser, d’encourager ces objets de mémoire collective, ces
    «mémoires de la mémoire», transfigurations ou parfois —cela arrive aux mieux
    nantis— défiguration de la production et du travail (mais nous savons que
    des travaux pertinents sont en cours, par exemple ceux d’Hélène Melin).
    De tout cela il faut considérer que la mine de charbon a été et est toujours
    le milieu de travail le plus difficile à gérer et le plus dangereux (toute
    proportion gardée, avec l’exploration de l’espace). Son antériorité historique,
    en matière législative, et en matière de catastrophes, d’études, et de remèdes,
    en fait un objet de comparaison incontournable.
    Il reste encore un domaine en plein avenir, c’est celui de la prise en compte
    législative, géologique, technique et sociale des traces minières sur les sols,
    les sous-sols, et les populations. Dans ce domaine, l’avenir dure longtemps,
    en tous cas plusieurs dizaines d’années avant les stabilisations définitives de
    l’eau, du gaz, et des sols ; en attendant il faut assurer les coûts de la
    «maintenance» c’est à dire du maintien à niveau des conditions géologiques,
    en attendant des processus nets d’amélioration. Ce fut un chantier très
    stimulant, grâce à l’aide des services compétents de CDF dans la région.
    Conclusion : la sociologie et les mines␣ :␣ nécessair e reconstruction
    de l’interdisciplinarité autour de la production et du travail
    Notre analyse de la production et du travail à travers les dispositifs miniers
    nous a conduit à proposer plusieurs approches des croisements disciplinaires,
    en raison du fait que la mobilité thématique et institutionnelle de la sociologie
    lui permet en théorie de s’inspirer de croisements disciplinaires, et même de
    les provoquer ; c’est ce que l’on a exprimé ci-dessus. De plus, on peut suggérer
    que l’approche sociologique de la mine, comme archétype, peut induire une
    66
    série d’éclairages du travail, dont la panoplie reflète typiquement des
    industries lourdes présentes à certaines périodes, dans certaines régions, et
    dont on peut se demander s’ils ne rendent pas compte d’une association
    historique particulière entre Etat et industrie ; c’est une des questions que
    l’on peut poser à la démarche tourainienne, dont on a vu qu’elle a surtout
    cherché à définir les attitudes des travailleurs par rapport à l’environnement,
    et non pas à définir dans l’épaisseur la notion de travail␣ :
  • le travail contraint (et sa dérivée le travail forcé), thématique générale,
    particulièrement significative en période d’occupation et d’économie de
    guerre, mais exemplaire de grands systèmes politiques totalitaires␣ ;
  • le travail politique, typique de l’intégration forte entre orientations
    politiques et partis au pouvoir, et les dispositifs nationalisés, particulièrement
    significative de l’époque des nationalisations et de la bataille du charbon ; la
    tentative de conquête des orientations économiques des HBNPC et de CDF
    par les syndicats (et le PC) à partir du Comité d’entreprise, et des oeuvres
    sociales est net␣ ;
  • le travail destiné concerne l’imposition des destinées ouvrières par le
    dispositif productif, dont on sait qu’il dépasse largement les généalogies
    minières, pour s’imposer aux descendants␣ ;
  • le travail fossile ou fossilisé rejoint la question archéologique, en ce sens
    que toute sociologie des chantiers appelés par nature à la disparition, et d’une
    industrie condamnée est indissolublement liée à la détection et à la
    conservation de la trace␣ ;
  • le travail menacé renvoie au fait que toute industrie stratégique, menacée
    par l’existence même de son coût économique et social, met en oeuvre à la
    fois la prévention du risque, et les dispositifs de sécurité au travail, facteurs
    d’autant plus favorables à la volonté de conservation des métiers et des
    techniques, que les producteurs sont menacés dans leur vie quotidienne par
    le danger et dans leur avenir par l’extinction de l’industrie (plus que par
    l’extinction des revenus)