Oeuvre de raymon mason à LIEVIN

Raymon Mason :

Retour à Liévin

L’allée profonde qui conduit aux bâtiments est recouverte d’une coulée de mosaïque de pavés. Raymond a inventé ce plan incliné et quadrillé pour placer ses personnages et leur imposer un rythme et un mouvement mesurés. Mais peut-on parler de mouvement ?

Chaque membre de la famille, mineurs, femmes et enfants, avance en silence. On comprend très bien que ces familles marchent vers le spectateur, ces martyrs scandent l’espace. Pour eux c’est terminé, ceux qu’ils venaient retrouver sont morts. C’est une marche retenue, à l’ordre prescrit. Le regard des familiers s’adresse-t-il directement au spectateur, pour lui faire partager sa douleur ? Inutile de nous détourner, notre regard revient toujours sur leur regard.

On imagine le silence. Les personnages sont ébranlés, les corps tressaillent par-delà les mots. Les larmes et les sanglots révèlent tout sans le concours d’aucune parole. A quoi serviraient-elles, d’ailleurs ? D’où le caractère dramatique et spectaculaire de cette marche où le langage ne joue plus le rôle d’intermédiaire.

L’influx nerveux est déréglé. La sueur, la fatigue, les larmes, le sang, jetés à toute vitesse dans les organes et les muscles des familiers et des proches, créent des suffocations incontrôlables. La respiration est troublée. On pense aux derniers moment de vie des mineurs asphyxiés dans le ventre de la Terre, là, juste en dessous.

La parole laisse parler la chair, la chair se fait parole. Les corps parlent et communiquent.

Mason sculpte des visages indiscutablement « portraitiques », aux traits qui frappent par leur authenticité, insiste sur l’exactitude minutieuse des vêtements de ces Gueules Noires. L’écharpe, le fichu, le bonnet d’une petite fille. Les figures ne semblent pas toucher le sol, impassibles dans cette procession du retour.

Puis Mason augmente la dose dramatique. Il intervient maintenant violemment en apportant à cette vision des couleurs de suie, de poussière de charbon. Cette noirceur absorbante pénètre la peau, envahit la scène et la colore. Mais s’agit-il de couleurs ? Ces tons, inconnus dans la palette des peintres, existaient peut-être aux premiers temps de la formation de la Terre? Tons pour un monde où tout s’est cristallisé, où tout est mort ou plutôt où rien n’a encore commencé à vivre. Le sculpteur s’interroge, est-ce bien une vie que celle du mineur?

Raymond Mason a sculpté ce qu’on a réussi de mieux en art pour représenter la douleur d’une famille. Ces visages ne sont-ils pas le miroir de l’émotion pure ?

Nulle autre sculpture qu’Une Tragédie ne répond mieux au thème de la catastrophe industrielle condamnant aussi violemment les conditions de travail de la mine. Sculpture ? Bas-relief ? Haut-relief ?

Le big bang de Liévin s’est produit un sinistre 27 décembre 1974, à 6h 30 du matin.

Raymond Mason est né en 1922 à Birmingham, d’un père écossais et d’une mère anglaise. En 1933, il s’engage dans la Royal Navy, il en sera réformé en 1941. En 1937, il est reçu premier à l’École d’art de Birmingham. Il s’inscrit aux cours du Royal Collège of Art à Londres. C’est en 1944 qu’il bifurque vers la sculpture. Mason rencontre alors Henry Moore. Il entre à L’École des Beaux-Arts de Paris et s’installe à Paris en 1946 grâce à une bourse que lui octroie l’État français.