Travail des enfants

Lettre en date du 02/01/1856 du Sous-Préfet de Béthune au Préfet du Pas-de-Calais

Et adressée en communication à Monsieur l’Ingénieur des Mines pour renseignements et avis par le Préfet.

OBJET : Mines de Houilles de Bully – Emploi des enfants et des femmes dans les travaux d’extraction –ABUS

Monsieur  le Préfet

Monsieur le Juge de Paix de Lens me signale, entre autres choses, par le rapport que j’ai l’honneur de vous communiquer ci joint, ce que doit avoir de fâcheux l’emploi des enfants et des femmes ou filles dans les travaux d’extraction de la Fosse de

Houille de Bully. Les enfants seraient assujettis au fond des galeries à des travaux d’une durée de 13 heures dans des conditions insalubres et la surveillance exercée sur la conduite des femmes, en supposant qu’on en exerce sérieusement, ne lui semble suffisante pour empêcher l’aggravation d’une immoralité déplorable qui afflige son canton. Je ne puis que vous prier, Monsieur le Préfet, de faire vérifier les faits par Monsieur l’Ingénieur des Mines, et de prendre ensuite telle mesure que de raison. Je suis avec respect, Monsieur le Préfet, votre très humble serviteur

Le Sous-Préfet Signé illisible. Rapport du Juge de Paix du Canton de Lens à Monsieur le Sous-Préfet à Béthune Le 31 Décembre 1855

OBJET : Rapport sur la situation politique et économique du Canton de Lens

Monsieur le Sous-Préfet, On dit que parmi les ouvriers de la Fosse au charbon de Bully-Grenay, se trouve un assez grand nombre d’enfants de 10 à 13 ans qui descendent le soir, passent toute la nuit jusqu’à 13 heures consécutives à travailler, ayant les pieds dans l’eau boueuse. Des femmes et des jeunes filles vêtues du costume de mineurs depuis quelque temps viennent accroître le personnel de cette fosse à charbon. On prétend que dans la mine, elles sont chaperonnées par un ouvrier aux cheveux blancs auquel on accorde d’inspirer assez de confiance et d’avoir assez d’yeux et d’ascendant pour que dans ces galeries tortueuses et sombres les mœurs n’aient pas à souffrir d’ouvriers des deux sexes. Obliger ces mineurs à se munir du livret qu’exige l’article 1er de la Loi du 22 Juin 1854, serait peut-être une mesure qui encouragerait l’immoralité en ce qu’elle régulariserait en quelque sorte leur position dans ces souterrains. Il pourrait bien de faire maintenant que les travaux des champs ont cessé et que beaucoup de femmes sont inoccupées que, dans les autres mines à charbon où manquent toujours les ouvriers on recrute comme à Bully-Grenay des femmes et des jeunes filles afin d’extraire davantage de charbon et de satisfaire plus facilement aux nombreuses demandes de combustible.

Au surplus je ne vois rien, Monsieur le Sous-Préfet, qui soit digne de vous être signalé pour ce moment dans mon canton dont les habitants continuent généralement à être paisibles et se livrent avec un courage admirable au travail, qui absorbe tous leurs instants. On peut dire cependant avec raison que dans ce pays on ne s’aime pas, les uns les autres, que pour la moindre difficulté on se traduit à la barre de la Justice de Paix même quand il s’agit de quelques misérables différents entre enfants et leur père, ou mère, que les haines qu’un rien suscite ne s’effacent point, que l’envie et l’égoïsme poussés au dernier des points font que les familles d’une même commune sont souvent brouillées entre elles et qu’il est bien rare de rencontrer un homme qui fasse l’éloge d’un autre à moins qu’il ne fasse son intérêt personnel à le louer. Dans les affaires civiles on est très défiant et à juste titre, car quiconque ne ferait pas lier immédiatement ses conventions par un contrat en bonne et dû forme, est toujours exposé à ne plus tomber d’accord avec sa partie adverse, sur les conditions arrêtées quelques jours auparavant ; enfin que la probité n’existe ici en quelque sorte que forcément et lorsqu’on ne peut plus tromper. Au point de vue politique, le Canton de Lens ne paraît pas changer, c’est-à-dire que ses habitants généralement très occupés non par le temps de se voir et de mener la conversation sur le terrain de la politique. Les 19/20ème de ces habitants (je ne parle ici que de ceux qui possèdent quelque fortune et quelque instruction) n’auraient garde d’être hostiles au gouvernement quand les temps leur sont favorables. Les distillateurs fabricants de suivre les membres des sociétés houillères et les cultivateurs qui résument tout le canton ne sont pas gens à se plaindre d’un temps qui gère bien leurs intérêts. Les ouvriers dont la plupart ne savent pas lire ne se mêlent nullement de politique. Jusqu’ici les bras ne suffisent toujours pas dans mon canton aux nombreux travaux des usines et exploitations houillères ; dans quelques fabriques de jour on doit faire exécuter par des femmes des tâches dorénavant confiées à des hommes. La betterave ne devant guère donner de l’occupation au-delà du 1er Février, il est à craindre qu’à dater de cette époque un certain nombre d’ouvriers ne se trouvent sans ouvrage et dans une position à devois recevoir de secours d’autant plus grands et variés que cette stagnation de travail pourrait bien encore coïncider avec les plus fortes rigueurs de l’hiver. L’esprit du canton trop dominé par l’égoïsme n’est pas bien disposé pour voter des sommes en faveur des indigents ou leur

faire des offrandes particulières. A Hulluch, le Maire a dû abandonner la souscription qu’il avait consentie en sa commune parce que personne n’a voulu y concourir. Son collègue de Wingles, qui se proposait aussi de recourir à ce moyen, voyant l’insuccès de son voisin y a renoncé. Trois ou quatre communes ont voté quelques fonds. Les communes que je viens de parler, dignes de foi en votre attention, sont celles de Wingles, Fouquières-lez-Lens, Bénifontaine, Liévin parce qu’elles renferment beaucoup d’indigents et presque point de familles qui puissent leur venir en

aide. Veuillez agréer, Monsieur le Sous-Préfet, l’assurance de mes sentiments dévoués et respectueux.

Le Juge de Paix du Canton de Lens

Signé Deswartes